Le Tribunal irano-américain des
réclamations a 40 ans
Par Cristina Hoss (*)
Depuis bientôt quarante ans, une institution
arbitrale bien discrète œuvre dans le but de régler les différends entre les
États-Unis d’Amérique et la République islamique d’Iran nés de la révolution
islamique. Une belle occasion pour braquer les projecteurs sur cette
institution peu connue du public haguenois et pourtant membre apprécié de la
famille des institutions qui font de la ville de La Haye la ville de la justice
internationale. En effet, le Tribunal quadragénaire contribue encore non
seulement au règlement des différends entre les deux États qui lui ont donné
mandat de ce faire, mais il aura également contribué de manière incidente -peut-être
même involontaire- mais significative au développement du droit de l’arbitrage
international.
On ne peut parler du Tribunal irano-américain sans
rappeler les circonstances qui ont entouré sa création. La crise qui en est immédiatement
à l’origine a été déclenchée par la révolution islamique ainsi que par l’événement
traumatisant de la prise en otage membres du personnel diplomatique et
consulaire de l’Ambassade américaine à Téhéran.
Mais l’histoire est complexe et les causes plus lointaines de la crise
sont liées au régime instauré par le gouvernement du Shah d’Iran, régime à la
réputation redoutable, notamment du fait des agissements de sa police, la SAVAK,
et par son association étroite avec les États-Unis dont il était un allié
fidèle avec lequel il entretint d’excellentes relations économiques, militaires
et politiques pendant de longues années. C’est dans ce cadre qu’il avait conclu
avec les États-Unis des contrats de fournitures et assistance militaires et lancé
de grands projets d’infrastructure à la réalisation desquelles avaient été
associée de nombreuses sociétés commerciales américaines. Pendant les années
1960 et 1970, de très nombreux ressortissants américains, hommes d’affaires,
investisseurs, ingénieurs etc., s’étaient installés en Iran, Le rôle joué par
les États-Unis n’était pourtant pas toujours bienvenu et fut source de tensions
considérables ; dès les années 1960, l’opposition contre le Shah commença
à s’organiser au sein de la société iranienne, une opposition pas seulement
islamique mais de toute couleur politique. Le soulèvement populaire devait culminer
dans la chute du gouvernement du Shah, le retour en début de l’année 1979 de
l’Ayatollah Khomenei jusque-là exilé, l’accueil du Shah aux États-Unis pour
traitement médical, et enfin la prise en otage de 52 membres du personnel de
l’Ambassade américaine à Téhéran par des manifestants militants, le 4 novembre
1979, date qui restera ancrée dans la mémoire de ceux qui l’ont vécu - sans
doute aussi parmi les lecteurs du Diplomat Magazine.
Cette prise d’otage et le soutien qu’elle reçut du
nouveau gouvernement iranien déclencha une crise internationale majeure. En
réaction à cette violation flagrante du droit international, les États-Unis
tentèrent alors de jouer toutes les cartes : le Conseil de sécurité adopta
deux résolutions condamnant les actes, le Secrétaire général de l’ONU fut
sollicité pour faciliter des missions humanitaires et mettre sur pied une
commission d’enquête, une série de mesures unilatérales adoptées par le
président Jimmy Carter fut alors mise en place, avec notamment le gel des
avoirs iraniens aux États-Unis, l’interdiction d’importation et d’exportation
ainsi que l’interdiction de toute transaction financière. Le 29 novembre 1979, les
États-Unis saisirent la Cour internationale de Justice, lui demandant de régler
le différend et d’obtenir la libération des otages par une ordonnance en
indication de mesures conservatoires. L’ordonnance rendue par la Cour resta
sans suite, tout comme son célèbre arrêt de 1980 constatant la responsabilité
du gouvernement islamique du fait de sa décision de pérenniser une situation
créée par des personnes privées. Ces
mesures n’eurent pas l’effet escompté. Dans une tentative désespérée de libérer
les otages, les États-Unis envoyèrent huit hélicoptères pour libérer les
otages, cette opération dite « Eagle Claw », tourna à la débâcle totale.
Toutes ces démarches des États-Unis ayant échoué, c’est
par l’intermédiaire de la République fédérale d’Allemagne d’abord, puis de la
République populaire et démocratique d’Algérie, qui accepta d’assumer ce rôle, que
les deux Parties entamèrent des négociations, sans jamais se rencontrer. Ces
négociations débouchèrent sur ce qu’il est convenu d’appeler les « Accords
d’Alger » du 19 janvier 1981. Il s’agit de déclarations de la République d’Algérie
que les deux Parties au différend s’engagent, séparément, de respecter. Les
Accords d’Alger consistent en deux déclarations principales et deux plus
techniques, mais leur ensemble constitue bien un traité au sens de la
Convention de Vienne du droit des traités avec tout ce que cela implique, y
compris en matière d’interprétation. Ils visent à mettre fin à un différend
politique majeure par le règlement arbitral. L’acceptation des Accords d’Alger
permit la libération des otages après 444 jours, le 20 janvier 1981, qui se
trouva être la date de l’investiture de Ronald Reagan, vainqueur de Jimmy
Carter aux élections. C’est ce dernier qui accueillit lui-même les otages sur
une base militaire américaine en Allemagne.
Par la Déclaration générale, l’Iran s’engageait à
libérer les 52 otages retenus depuis le 4 novembre 1979. Les États-Unis
acceptaient les conditions de l’Etat iranien, à savoir : la
non-intervention dans les affaires intérieures de l’Iran, l’annulation du gel des
avoirs iraniens, la levée des sanctions contre l’Iran et l’annulation des
réclamations contre l’Iran devant les juridictions des États-Unis ainsi que la
restitution à l’Iran des biens du Shah. Enfin, les États-Unis devaient se
désister de l’instance devant la Cour internationale de Justice, laquelle avait
rendu son arrêt sur le fond mais demeurait saisie de la question des
réparations.
La deuxième déclaration, la Déclaration sur le
règlement du contentieux (Claims Settlement Declaration), est celle qui créa le
Tribunal irano-américain, donnant mandat à celui-ci de se prononcer sur les réclamations
de ressortissants de l’un des États contre l’autre (réclamations privées),
ainsi que sur les différends juridiques entre les deux États concernant
l’interprétation et l’application des Accords d’Alger (réclamations dites
« A Claims ») et les différends entre les deux Etats concernant
l’acquisition contractuelle de biens et de services, les official claims
(réclamations dites « B Claims »).
La première séance du Tribunal s’est tenue le 1er
juillet 1981 au Palais de la Paix, dans la petite salle de justice, fréquemment
utilisée par le Cour permanente d’arbitrage, qui avait offert ses services à
cette nouvelle institution arbitrale en attendant qu’elle puisse se doter d’un
secrétariat et de locaux propres. Compte tenu du volume de réclamations
attenues, il avait été convenu que l’Etat hôte mettrait à la disposition du
Tribunal des locaux plus ou moins permanents, bien que l’on estimât à l’époque
que les réclamations seraient traitées dans une période de cinq à dix ans…
Les promeneurs du quartier de Stolkpark
connaissent sans doute le bâtiment emblématique qui sert de siège au Tribunal,
situé entre les bois de Scheveningen et le Westbroek Park, un bâtiment qui a arbitré
le Parkhotel puis, selon une rumeur non-confirmée, la Gestapo pendant
l’occupation allemande.
On peut imaginer sans grande peine l’ambiance
tendue qui régnait au Tribunal pendant les premières années. Cette expérience
assez unique aurait facilement pu tourner à l’échec, mais elle est en réalité
une belle leçon de l’effet pacificateur du règlement des différends par la voie
arbitrale. En grande partie, cela est dû, qu’on me pardonne cette analyse de
juriste, à l’existence d’un règlement de procédure permettant au Tribunal de
continuer son travail malgré certaines difficultés rencontrées. C’est par une
coïncidence fortuite que la création du Tribunal est à peu près contemporaine
de l’adoption d’un règlement procédural de l’arbitrage sous l’égide de la
Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International, la
CNUDCI. Le Tribunal n’aurait pas pu
mieux tomber. Le Règlement d’arbitrage adopté par la CNUDCI en 1976 présentait
un ensemble complet et détaillé de règles de procédure pouvant être utilisé
dans la conduite d’arbitrages commerciaux mais aussi, comme le Tribunal le
prouve, internationaux. Les commentateurs en conviennent, l’existence de ce
règlement a largement contribué au succès du Tribunal qui en a adapté quelques
articles mais qui, s’est essentiellement servi de ce règlement pour résoudre
des questions de procédure. Il fut ainsi l’un des premiers à devoir appliquer
et interpréter les dispositions, faisant du Tribunal une référence en matière
de procédure arbitrale.
Les Membres du Tribunal, leurs assistants et le secrétariat
ont ainsi su surmonter les obstacles et ont réussi un remarquable tour de force :
progressivement, le Tribunal s’est organisé pour traiter les quelques 3800
réclamations déposées par des personnes privées, naturelles et juridiques. Selon
nos dernières informations, le Tribunal est venu au bout d’un nombre
impressionnant d’affaires -près de 4000- dont toutes les réclamations privées,
72 affaires de la catégorie B et 21 affaires de la catégorie A. 16 affaires
inter-étatiques demeurent pendantes. Le Tribunal a pris la décision, fort
heureuse, de publier les sentences dans des Recueils et de les rendre ainsi
accessible, non seulement au public intéressé mais aussi au monde de
l’arbitrage at large. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles
la jurisprudence du Tribunal a pu asseoir son autorité et influer sur le
développement du droit de l’arbitrage :
La contribution du Tribunal au monde de
l’arbitrage ne se limite pas aux questions de procédure. Des décisions du
Tribunal irano-américain fréquemment citées dans les sentences arbitrales de
tribunaux du CIRDI, ou encore de tribunaux ad hoc, notamment quand il
s’agit d’analyser la notion d’expropriation, la nationalité effective, la force
majeure, le droit de la responsabilité internationale, ou encore en matière de
méthodes de calcul de la compensation (quantum).
Compte tenu de l’étendue du mandat du Tribunal, la nature des affaires traitées par celui-ci
n’est pas homogène ; il s’agit parfois d’affaires simples, à caractère
commercial, parfois d’affaires d’un degré de complexité juridique et factuelle
des plus sophistiqués. Le lecteur du Diplomat Magazine est invité pour
s’en assurer à consulter la dernière décision rendue dans l’affaire A :15,
une affaire inter-étatique qui comportait des réclamations multiples,
rassemblées en clusters thématiques. Sans même lire les près de
sept-cents pages de la sentence partielle (opinions séparées
non-comprises !), le lecteur pourra parfaitement mesurer la fascinante
combinaison de questions factuelles et juridiques traitées par le Tribunal dans
cette affaire, et ce n’est qu’une seule affaire !
La composition du Tribunal est des plus classiques
en matière d’arbitrage international, et n’est pas sans rappeler celle des
Commissions mixtes créées à l’issue de la première Guerre mondiale. Le Tribunal
est composé de neuf membres, trois nommés par les États-Unis, trois nommés par
l’Iran et trois nommés conjointement par les six arbitres déjà nommés, les membres
ressortissants de pays-tiers, les « TCMs », third-country
Members. Il se trouve que, depuis la création du Tribunal, les membres de
pays-tiers ont été, à l’exception de l’Argentin José Maria Ruda, des
ressortissants de pays européens de tradition de droit civil. Parmi les
juristes internationaux appelés à siéger en tant que « membre de pays
tiers » on retrouve des noms familiers : Michel Virally, José-Maria
Ruda, Willem Riphagen, Karl-Heinz Böckstiegel, Gaetano Arangio-Ruiz, Krzysztof
Skubiszewski, Hans van Houtte ou encore les membres actuels, les professeurs
Nicolas Michel, Herbert Kronke et Bruno Simma.
Eu égard à la nature hétéroclite des affaires portées
devant le Tribunal, ses Membres doivent être de fins juristes, spécialistes non
seulement du droit international public et du droit de l’arbitrage, mais aussi
du droit comparatif, du droit international privé et du droit des contrats,
avec un intérêt particulier pour les transactions commerciales, et disposer aussi
une certaine expertise en matière pétrolière, militaire et aéronautique. Enfin,
il leur faut également avoir « la bosse des maths », lorsqu’ils ont à
déterminer le montant des compensations à accorder selon des méthodes de calcul
parfois très élaborés. Pour ce qui est des connaissances linguistiques, de nos
jours, les Membres du Tribunal s’expriment en anglais seulement, les décisions étant
en revanche rendues dans les deux langues officielles du Tribunal.
Quarante ans après la première séance du Tribunal,
il est temps de célébrer cette belle réussite de l’arbitrage international. Il
est vrai que, lors de sa création, personne n’aurait imaginé que le règlement
de ce contentieux durerait autant d’années, mais ce qui compte, ce sont les
milliers de sentences rendues, dans des circonstances parfois difficiles. Les
relations entre les deux États parties ont connu des hauts et des bas (des bas
surtout) les forces politiques ont pu changer, des gouvernements sont tombés,
des administrations avec, d’autres les ont remplacés, car les données géopolitiques
subissent d’incessants changements, mais au cours de toutes ces années, quelle
qu’ait été la situation politique du jour, le Tribunal a continué à travailler
sans relâche, à rendre des sentences d’un haut degré de complexité juridique et
factuelle, et qui plus est, les deux États concernés, les États-Unis et l’Iran,
ont tenus à coopérer avec le Tribunal, ont contribué à son budget, participé
aux procédures et audiences, et exécuté ses sentences arbitrales. Après des
débuts quelque peu difficiles, c’est dans le cadre de débats sereins que les
Parties et les Membres du Tribunal s’acquittent de leur mission commune : trouver
une solution aux différends divers qui fondent la compétence du Tribunal. Le Tribunal peut en témoigner : le
règlement des différends par la voie arbitrale ou judiciaire est une voie fort
prometteuse – quelle que soient les circonstances extérieures.
Il ne nous reste qu’à adresser nos vives félicitations
au Tribunal irano-américain des réclamations, ainsi qu’aux deux États parties,
pour avoir contribué au règlement pacifique de ce différend majeur de notre
époque - contre vents et marées.
Site internet : www.iusct.nl
*Cristina Hoss est juriste au Greffe de la Cour internationale de Justice et, entre 2015 et 2017, a été conseillère juridique de S.Exc. M. Bruno Simma, Membre du Tribunal. Elle garde de son passage au Tribunal un souvenir ému et saisit cette occasion pour saluer ses anciens collègues et amis. Les vues exprimées sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles des Nations Unies ou de la Cour internationale de Justice.
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