Gaza / Israël : à propos des mandats d'arrêt délivrés par la Cour Pénale Internationale (CPI)
Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin(a)gmail.com.
Note de l'auteur: une version en espagnol de ce texte est également disponible ici.
Introduction
Le 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu'elle avait confirmé et délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de deux hauts dirigeants israéliens et d'un chef de l'aile militaire du Hamas à Gaza.
Les mandats d'arrêt concernent plus précisément l'actuel Premier ministre et ministre de la Défense d'Israël jusqu'à il y a quelques semaines (voir le communiqué de presse officiel de la CPI) tout comme un haut commandant militaire du Hamas considéré comme responsable de la planification et de la coordination de l'attaque du 7 octobre 2023 (voir le communiqué de presse).
Dans son premier communiqué concernant les autorités israéliennes, les juges de la CPI ont constaté que :
"With regard to the crimes, the Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu, born on 21 October 1949, Prime Minister of Israel at the time of the relevant conduct, and Mr Gallant, born on 8 November 1958, Minister of Defence of Israel at the time of the alleged conduct, each bear criminal responsibility for the following crimes as co-perpetrators for committing the acts jointly with others: the war crime of starvation as a method of warfare; and the crimes against humanity of murder, persecution, and other inhumane acts. The Chamber also found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu and Mr Gallant each bear criminal responsibility as civilian superiors for the war crime of intentionally directing an attack against the civilian population".
Dans le second communiqué concernant le chef militaire du Hamas, on y lit que:
"The Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Deif, born in 1965, the highest commander of the military wing of Hamas (known as the al-Qassam Brigades) at the time of the alleged conduct, is responsible for the crimes against humanity of murder; extermination; torture; and rape and other form of sexual violence; as well as the war crimes of murder, cruel treatment, torture,; taking hostages; outrages upon personal dignity; and rape and other form of sexual violence.
The Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Deif bears criminal responsibility for the aforementioned crimes for (i) having committed the acts jointly and through others and (ii) having ordered or induced the commission of the crimes, and (iii) for his failure to exercise proper control over forces under his effective command and control".
Dans les lignes qui suivent nous essaierons d'expliquer la portée de cette décision attendue depuis de fort longs mois par les victimes palestiniennes et israéliennes et leurs représentants, mais aussi par de nombreux secteurs de par le monde et au sein de la communauté internationale.
De quelques réactions officielles
Comme à l'accoutumée, les plus hautes autorités israéliennes n'ont rien trouvé de mieux que d'accuser les trois juges de la CPI qui ont pris cette décision d' "antisémitisme" (voir article du TimesofIsrael).
Comme cela est devenu habituel pour tout observateur, la plus haute autorité des Etats-Unis s'est empressée de discréditer et de disqualifier la décision de la CPI (voir communiqué officiel de la Maison Blanche du 21 november 2024).
Une ONG comme Amnesty International s'est déclarée profondément satisfaite de cette décision, mais a également exigé que les Etats parties au Statut de Rome de 1998, qui a créé la CPI, respectent toutes leurs obligations (voir communiqué de presse). Pour sa part l'ONG israélienne PeaceNow a émis un communiqué saluant cette décision (voir texte): il s'agit d´un texte fort peu médiatisé dans la presse israélienne, tout comme celui de l´ONG B'Tselem (voir texte).
La France a pour sa part officiellement "pris acte" de cette décision (voir communiqué de presse), sans oublier de manifester dans son communiqué son soutien aux juges de la CPI: un soutien que 11 ONG françaises ont jugé si fragile... qu'elles se sont empressées de le rappeler aux autorités (voir communiqué conjoint publié sur le site de l´AURDIP).
On se doit de rappeler cette initiative du Congrès nord-américain datée du 7 mai 2024 qui vise à sanctionner la CPI si elle s'aventurait à ordonner une enquête ou des poursuites concernant les dirigeants politiques et militaires des alliés des États-Unis. Cette initiative, approuvée en juin 2024 (voir l'article du TheGuardian), est justifiée, selon le préambule,
« pour imposer des sanctions à l'égard de la Cour pénale internationale engagée dans tout effort d'enquête, d'arrestation, de détention ou de poursuite de toute personne protégée des États-Unis et de leurs alliés / To impose sanctions with respect to the International Criminal Court engaged in any effort to investigate, arrest, detain, or prosecute any protected person of the United States and its allies».
Aucune mention n'est faite d'Israël dans ce texte, mais il est intéressant de noter que l'initiative a été présentée le 7 mai 2024, tout juste quelques semaines avant que le Procureur de la CPI ne demande publiquement des mandats d'arrêt à l'encontre de deux dirigeants israéliens et de trois dirigeants du Hamas le 20 mai. On notera que la liste des promoteurs de cette initiative du Congrès américain comprend certains des proches collaborateurs nommés depuis le 5 novembre par le nouveau Président élu nord-américain pour occuper des postes importants dans sa future administration.
Effet ou non de cette décision de la CPI, en Israël des informations concernant l'irresponsabilité de son Premier Ministre avant l'attaque du 7 octobre 2023 sont exposées en détail dans les principaux quotidiens israéliens (voir par exemple note du Timesof Israel du 24 novembre 2024), ce dont avait informé le média numérique israélien Magazine +972 dans un interview dont la lecture est recommandée, et ce depuis le 11 novembre (voir article). Ce dimanche 24 novembre, les plus hautes autorités d'Israël s'en sont pris au quotidien israélien Haaretz (voir note de Haaretz et de ElPais en Espagne).
Brève mise en contexte
La demande de mandats d'arrêt du Procureur de la CPI attendait patiemment depuis le 20 mai 2024 : c'est la date à laquelle le Procureur de la CPI a formellement annoncé sa demande de mandats d'arrêt à l'encontre de trois dirigeants du Hamas et de deux hautes autorités israéliennes (voir hyperlien vers l'annonce en anglais et en français). Le 20 mai, les Etats-Unis se sont sentis obligés d'exprimer leur ferme opposition à l'annonce du Procureur (voir le communiqué de presse du Département d'Etat).
Nous avions eu l'occasion d'analyser l'annonce du Procureur de la CPI (voir notre brève note du 20 mai en espagnol) ainsi que, quelques mois plus tard, les démarches entreprises par plusieurs Etats latino-américains auprès de la CPI pour soutenir cette demande en août 2024 (voir notre note à ce sujet en espagnol intitulée : "América Latina ante el drama en Gaza: a propósito de las observaciones enviadas por Bolivia, Brasil, Chile, Colombia y México a la Corte Penal Internacional (CPI)").
Contrairement à d'autres régions du monde, ce groupe d'Etats a confirmé l'Amérique latine comme un bastion de la justice pénale internationale et de la lutte contre l'impunité rampante, notamment en ce qui concerne les exactions de toute sorte commises par Israël dans le territoire palestinien occupé.
Il convient de noter que l'opinion juridique soumise par le Brésil à la CPI (voir document) et par la Colombie (voir document), ont été accompagnées par un avis juridique conjoint soumis par le Chili et le Mexique (voir texte), tout comme celui élaboré par l'Afrique du Sud, le Bengladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti (voir texte conjoint). Deux organisations internationales ont également remis aux juges de la CPI leurs avis: l'Organisation de la Coopération Islamique (voir document) ainsi que la Ligue des Etats Arabes (voir document). Pour ce qui est des Etats situés sur le continent européen, on recense en particulier les opinions juridiques de l'Espagne (voir document), de l'Irlande (voir document) et de la Norvège (voir document complet).
Ces divers avis juridiques vont tous dans le même sens que celui soumis par la Palestine (voir document) : la justice pénale internationale est juridiquement parfaitement habilitée pour s'appliquer dans le territoire palestinien occupé, sans limitation d'aucune sorte, et il serait grand temps qu'elle se matérialise par l'émission des mandats d'arrêt sollicités depuis le 20 mai 2024.
Pour les spécialistes et juristes intéréssés par les effets de décisions d'une juridiction internationale sur une autre, on retrouve dans la plupart de ces opinions juridiques une référence à l'avis consultatif du 19 juillet 2024 rendu par la Cour internationale de Justice (CIJ) - voir texte en français - et ce qu'il signale à propos des accords d'Oslo de 1993 : il s'agit là d'un effet notoire, parmi bien d'autres, de cette importante décision de la CIJ, au demeurant fort peu commentée et analysée sur les sites juridiques spécialisés et revues juridiques scientifiques, depuis sa lecture par la CIJ en juillet dernier (Note 1).
Fin août 2024, le Procureur de la CPI avait eu l'occasion de réitérer l'urgence de l'émission de ces mandats d'arrêt dans une déclaration totalement passée sous silence par les grands médias internationaux et sites juridiques spécialisés, exception faite de quelques sites d' information comme celui de Pressenza et du site libanais LibnaNews ayant eu la gentillesse de publier nos réflexions (Note 2) : voir notre article en espagnol intitulé "Gaza / Israël : le Procureur de la CPI réaffirme l'urgence des mandats d'arrêt".
A noter que fin mai 2024, les journalistes d'investigation en Israël de Magazine+972 ont publié un long rapport sur un système d'écoute auquel les services secrets israéliens soumettaient les ordinateurs et l´ensemble du personnel de la CPI, et ce depuis de fort nombreuses années (voir l'article intitulé "Surveillance and intefrerence: Israel's covert war on ICC exposed").
La justice pénale internationale : un véritable défi pour Israël et ses alliés
Les écoutes permanentes dont a été objet la CPI depuis bien des années s'expliquent par le fait que la CPI en tant que telle constitue un défi majeur pour Israël: quelques indiscrétions diplomatiques passées (mais fort peu connues) permettent de le confirmer.
Ainsi, au mois de novembre 2012, lorsque l'Assemblée générale des Nations Unies a accordé à la Palestine le statut d'« État observateur non membre » (lors d'un vote au cours duquel seuls 9 États ont voté contre, à savoir : Canada, États-Unis, Israël, Îles Marshall, Nauru, Palau, Panama et République tchèque), le Royaume-Uni a choisi de s'abstenir. Toutefois, le Royaume-Uni avait annoncé qu'il voterait pour, mais seulement si la Palestine donnait l'assurance qu'elle n'irait pas devant la CPI :
«The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court, but apparently came away unsatisfied» (voir note de presse de novembre 2012 du The Washington Post, un media dont les correspondants sont en général assez bien informés).
Cette profonde inquiétude à l'égard de la justice pénale internationale n'est pas sans rappeler une autre confidence diplomatique antérieure à 2012, rendue publique cette fois par le portail Wikileaks : en relation avec l'offensive militaire israélienne meurtrière à Gaza en 2009 (Note 3), on a pu lire que, lors d'une conversation avec des diplomates américains (voir le câble du 23 février 2010 de l'ambassade des Etats Unis alors à Tel-Aviv), la confidence suivante a été faite par le colonel Liron Libman en 2010 :
“Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”.
Le colonel Liron Libman, haut fonctionnaire israélien, était (et est probablement toujours en ce mois de novembre 2024) un fin connaisseur des règles du droit international : il a été pendant de nombreuses années à la tête du département de droit international des Forces de Défense israéliennes (plus connues par leurs sigles en anglais d´IDF).
Plus récemment (2020), il convient aussi de rappeler que dans un communiqué de presse de mars 2020 (voir texte complet), Amnesty International (AI) avait mis en garde l'opinion publique contre la manœuvre d'un petit groupe d'États, tout en soulignant une autre pression, bien plus feutrée, exercée cette fois par le Canada :
"We are also deeply concerned by news reports that one state party, namely Canada, has “reminded the Court” of its provision of budgetary resources in a letter to the ICC concerning its jurisdiction over the “situation in Palestine”, which appears to be a threat to withdraw financial support".
Obtenir une version complète de cette lettre devenue fameuse émise par le Canada en février 2020 serait sans doute l'idéal, mais il semblerait que ce document officiel envoyé à la CPI ne sera jamais rendu public, alors que ce fut une organisation proche d'Israël au Canada la première à en signaler l´existence (voir note de CJNews du 26 février 2020). À moins, bien sûr, que les organisations de la société civile canadienne non seulement dénoncent cette manœuvre, somme toute assez grossière (comme, par exemple l'a fait ce communiqué de l´organisation non gouvernementale CJPMO en date du 3 mars 2020), mais exigent également que leurs autorités la fassent connaître intégralement: ce afin que l'opinion publique canadienne et internationale soient informées de ce que le Canada est capable de faire pour protéger Israël.
Enfin, on rapellera que le dépôt, par la Palestine, le 21 janvier 2009, d´une déclaration d´acceptation de la juridiction de la CPI fut considéré par le service juridique de l´armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme, inconnue par nombre de spécialistes dans ce domaine : le "terrorisme légal" (Note 4).
Les assassinats israéliens et l'absence de mandats d'arrêt pour les autres dirigeants du Hamas après un (trop) long délai
Pour en revenir a la période plus récente (2024), on se doit d'indiquer qu' Israël a procédé à l'assassinat ciblé des autres dirigeants du Hamas visés dans la requête du procureur de la CPI et dans son communiqué du 20 mai 2024.
La Chambre préliminaire de la CPI a donc maintenu les mandats d'arrêt contre les deux responsables israéliens et contre un chef militaire du Hamas (dont on pense qu'il a échappé à une tentative d'assassinat par les forces militaires israéliennes). Sa mort n'ayant pas été confirmée, la CPI n'avait aucun moyen de l'exclure de sa demande. En revanche, nos lecteurs pourront lire la décision de la CPI du 9 septembre 2024 en vue de suspendre la demande de mandat d'arrêt dans le cas spécifique du dirigeant palestinien du Hamas, Ismael Hanyeh, assassiné par Israël le 31 juillet à Téhéran après avoir assisté à l'investiture du nouveau président iranien (voir texte).
La longue attente depuis le 20 mai 2024 est en partie due aux démarches initiées par le Royaume-Uni à la fin du mois de juin, ouvrant un délai supplémentaire dans la procédure pour recevoir des avis juridiques soumis par des États, des ONG et des individus aux trois juges de la CPI. Il convient de noter qu'à la suite des résultats des élections britanniques du 4 juillet, les nouvelles autorités britanniques ont choisi de suspendre cette gestion manifestement dilatoire adoptée par leurs prédécesseurs, probablement à la demande d'Israël (et de son fidèle allié nord-américain).
Objet d'une campagne de dénigrement de la part de certains cercles d'influence pro israéliens aux Etats-Unis et en Europe, le Procureur et les juges de la CPI ont également été soumis à des pressions diplomatiques de toute sorte de la part de certains grands États donateurs pour qu'aucun mandat d'arrêt ne soit délivré à l'encontre de dirigeants israéliens.
Selon certains experts, les pressions diplomatiques exercées par les États-Unis sont allées encore plus loin, en demandant que, si finalement une décision devait être prise, qu'elle ne soit pas rendue publique avant le 5 novembre 2024, date des élections nord-américaines.
Le caractère insensé de la soi-disant « guerre » menée par Israël à Gaza
Le dernier rapport des Nations Unies sur la situation à Gaza (voir le rapport du 19 novembre) rend compte du caractère insensé de l'action militaire israélienne à Gaza, qui a fait près de 44 000 morts (et plus de 100 000 blessés) :
"Between the afternoons of 12 and 19 November, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 307 Palestinians were killed and 932 were injured. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, at least 43,972 Palestinians were killed and 104,008 were injured, according to MoH in Gaza.
Between the afternoons of 12 and 19 November, three Israeli soldiers were killed in Gaza, according to the Israeli military. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, according to the Israeli military and official Israeli sources cited in the media, more than 1,576 Israelis and foreign nationals were killed, the majority on 7 October 2023 and its immediate aftermath. The figure includes 376 soldiers killed in Gaza or along the border in Israel since the beginning of the ground operation. In addition, 2,440 Israeli soldiers were reported injured since the beginning of the ground operation".
Il est à noter que le bilan de presque 44 000 morts à Gaza est, pour certains spécialistes, bien en deçà de la réalité. En effet, dans un article publié par un spécialiste militaire souvent invité par les médias français et intitulé « Guerres en Ukraine et en Israël, (enfin) des voies de sortie en perspective ? », il est indiqué que le chiffre réel pourrait être d'environ 100 000 personnes tuées à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :
“les évaluations des dégâts des bombardements montrent – même en hypothèse basse – que le bilan projeté se situe plutôt autour de 100,000 morts et donc de 350,000 blessés (le ratio de 3,5 est la « norme »), soit 20% de la population palestinienne de Gaza « au bas mot » (450,000 / population initiale de 2,3 millions), blessée ou tuée par cette guerre démesurée”.
L'absence de données vérifiables est largement due à l'absence de personnel humanitaire déployé dans toute la bande de Gaza et à l'absence de médias capables de documenter et d'informer l'opinion publique internationale sur la réalité de la bande de Gaza et sur l'ampleur exacte des bombardements aériens israéliens sur la population civile. A cet égard, l'assassinat délibéré par Israël de journalistes, de cameramen et d'assistants d'organes de presse a incité une soixantaine d'organisations œuvrant pour la protection des journalistes à hausser le ton et à demander à l'Union européenne (UE) d'agir (voir la lettre collective datée du 22 août 2024). La lettre indique que :
“Journalists play an indispensable role in documenting and reporting on war crimes and other human rights violations. The cumulative effect of these abuses is to create the conditions for an information void, as well as for propaganda and mis- and disinformation. While Israel contends that its actions are to keep its people safe, history shows that censorship and denial of the right to information is a flawed path to peace or security. We, therefore, write to you today to call for the suspension of the Israel / EU Association Agreement on the basis that it has violated international human rights and criminal law and for the adoption of targeted sanctions against IDF officials and others responsable”.
Au 22 novembre 2024, selon le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), le nombre de journalistes tués à Gaza par les forces militaires israéliennes depuis le 7 octobre 2023 s'élève à 137 professionnels du monde de l'information (voir le rapport).
Comme on le sait, malgré une très faible couverture dans les médias grand public, le rapport A/79/384 (voir hyperlien), intitulé « Génocide en tant que suppression coloniale » et rédigé par la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a été présenté à l'Assemblée générale des Nations Unies en octobre 2024 : sa lecture intégrale est très fortement recommandée, car il analyse et détaille l'intention génocidaire documentée des autorités israéliennes actuelles à Gaza (voir en particulier les paragraphes 11-23 et les paragraphes 42-48, ainsi que 68-82).
Dans ce communiqué de presse du service de presse des Nations Unies du 30 octobre 2024, on peut écouter sa présentation faite en espagnol ; nos chers lecteurs pourront vérifier par eux-mêmes si ce communiqué de presse et le rapport auquel il se réfère ont été mentionnés dans les médias grand public du monde hispanophone. Ou si, comme c'est souvent le cas, les agences de presse internationales et les médias internationaux ont tout simplement choisi d'ignorer ce rapport.
L'autrice de ce rapport s'est ensuite rendu au Canada le 3 novembre (voir article de de presse), interrogeant au passage toute la société et le soutien des autorités canadiennes au drame indicible de Gaza, en accordant plusieurs interviews à différents médias canadiens (voir l'un d'entre eux).
Le 8 novembre 2024, les Nations Unies ont publié un autre rapport sur la période allant du 1er novembre 2023 au 30 avril 2024 (voir hyperlien) dans lequel on peut lire (page 6) que :
"The monitoring and verification of grave violations remained extremely challenging, including owing to access constraints, a high level of insecurity, and threats and direct attacks also on United Nations personnel, monitors and humanitarian actors. Nevertheless, verification work continued, with the number of killings verified by OHCHR by 2 September 2024 standing at 8,119 Palestinians in Gaza, including 2,036 women and 3,588 children (1,865 boys and 1,723 girls). Of these verified figures, 7,607 were killed in residential buildings or similar housing, out of which 44 per cent were children, 26 per cent women and 30 per cent men".
Dans les recommandations finales, outre celles adressées aux autorités israéliennes (pp. 29-30), il est indiqué que les États membres des Nations Unies devraient également prendre certaines mesures (page 31) :
"72. The High Commissioner calls on Member States of the United Nations to:
a. Consistent with their obligations under international law, assess arms sales or transfers and provision of military, logistical or financial support to a party to the conflict, with a view to cessation of such support to the extent it implicates a real risk of facilitating commission of serious violations of international law;
b. Support the work of the International Criminal Court in relation to the Occupied Palestinian Territory; exercise universal jurisdiction to try crimes under international law in national courts, consistent with international standards; and comply with extradition requests pertaining to suspects of such crimes to countries where they would face a fair trial;".
Le rapport d'une commission d'enquête des Nations Unies récemment publié A/79/363 (voir hyperlien) et qui a fait l'objet d'un communiqué de presse des Nations Unies du 14 novembre 2024 intitulé "UN Special Commitee finds Israel´s warfare methods in Gaza consistent with genocide, including use of starvation as weapon of war"(voir hyperlien) mérite également d'être mentionné : sa faible couverture par les médias internationaux, confirme une tendance devenue malheureusement habituelle depuis le 7 octobre 2023 pour tout rapport international (ou national) décrivant le drame innommable auquel Israël soumet délibérement la population civile palestinienne à Gaza.
Le 14 novembre 2024, la comparution d'un chirurgien ayant opéré des civils à Gaza devant une commission parlementaire britannique la veille a également été diffusée (voir vidéo), dans laquelle il détaille la volonté délibérée d'Israël de causer le plus grand dommage à la population civile, en particulier aux enfants palestiniens.
Photo d'un bombardement israélien sur Gaza survenu le 13 novembre 2024 sur Al-Mawasi: on peut apprécier l'impact sur le sol en raison du type de bombes extremement puissantes utilisées délibérément par Israël pour bombarder des campements de fortune concentrant un grande quantité de réfugiés et de déplacés gazaouis. Photo extraite de cet article de presse intitulé " 'I don´t care who´s president there. I just want may kids to survive in Gaza' ", Magazine+972 (Israel), édition du 14 novembre 2024
Quelques interviews recommandées
Afin de mieux comprendre le non-sens de la stratégie israélienne à Gaza, en violation flagrante (et documentée) des règles les plus élémentaires de l'ordre juridique international et dont le non-respect devrait être, d'un strict point de vue juridique, sanctionné par la communauté internationale dans son ensemble, il n'est pas superflu de se référer à cet entretien avec l'une des grandes spécialistes françaises du Proche-Orient, suite à la publication de son livre, qu'elle a présenté début octobre 2024, intitulé « Le livre noir de Gaza », (ainsi qu'à cet article de Libération et à celui publié dans Le Monde du 8 octobre). Un second entretien, plus récent (31 octobre), est également fortement recommandé.
Pour comprendre le jeu subtil auquel se livrent les autorités israéliennes depuis le 7 octobre 2023 afin d'instrumentaliser le traumatisme qu'il a représenté pour la société israélienne, avec un grand succès dans certains milieux politiques de diverses parties du monde, nous recommandons cette interview récente de Democracy Now d'octobre 2024 avec une spécialiste américaine de la société israélienne, intitulée : « Naomi Klein : Israel has weaponised Oct 7th trauma to justify its genocide in Gaza ».
Enfin, l'interview réalisée par Democracy Now aux Etats-Unis fin octobre 2024 avec la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la portée de son dernier rapport (rapport A/79/384 intitulé « Genocide as colonial suppression ») mérite également d'être mentionnée, compte tenu du véritable black-out de plusieurs médias internationaux sur la portée et la signification de son rapport (voir hyperlien vers son interview, disponible sur YouTube).
On ajoutera enfin cet interview concernant la décision de la CPI du 21 novembre fait à la même rapporteuse spéciales des Nations Unis (voir hyperlien).
Un pas de plus pour les victimes palestiniennes et pour la justice pénale internationale
Depuis le 21 novembre 2024, la communauté internationale peut compter avec un second pas capital d'une importance historique pour les victimes palestiniennes et plus généralement, pour la justice pénale internationale; ainsi que pour la lutte contre l'impunité à laquelle les autorités israéliennes se sont habituées depuis de nombreuses années, assurées par la protection de leur allié nord-américain inconditionnel.
En février 2021, un tout premier pas, tout aussi capital, avait été franchi, dans une décision peu médiatisée et fort peu commentée de la CPI (voir texte en anglais) dans laquelle la Chambre préliminaire de la CPI a conclu (page 60) être parfaitement habilitée du point de vue juridique pour examiner la situation sur l'ensemble du territoire palestinien, sans exception d'aucune sorte : voir notre article en espagnol à ce sujet publié par le Réseau International des Droits de l'Homme (RIDH) intitulé "Corte Penal Internacional (CPI) / Palestina: se despeja el camino para la justicia penal internacional" et également publié en français sur quelques sites (Note 5).
Il va sans dire qu'a peine prononcée, cette décision de la CPI a donné l'occasion aux Etats-Unis de manifester leur opposition (voir communiqué du Département d´Etat du 5 février 2021). Lorsqu'une enquête a été formellement ouverte par le Bureau du Procureur de la CPI quelques semaines plus tard en mars 2021, les Etats-Unis se sont sentis une nouvelle fois obligés d'exprimer haut et fort leur refus catégorique (voir le communiqué du Département d'Etat du 3 mars 2021).
Il est à noter que l'annonce officielle de la CPI du 21 novembre 2024 concernant ces mandats d'arrêt a été précédée 24 heures plus tôt par une énième tentative des États-Unis au Conseil de Sécurité pour bloquer avec leur véto une décision concernant Gaza (voir notre brève note en espagnol): le délégué nord-américain a choisi d'exercer seul son droit de véto face aux 14 votes favorables des autres États Membres. Il s'agit en fait du quatrième véto solitaire des États-Unis depuis le 7 octobre 2023 au Conseil de Sécurité. Il s'agit aussi du tout premier véto post électoral en ce mois de novembre 2024, qui infirme l'idée selon laquelle, "libérée" des contraintes électorales jusqu'au 5 novembre, l'actuelle administracion nord-américaine sortante pourrait (enfin) prendre ses distances avec Israël (et laisser passer une résolution au sein du Conseil de Sécurité en vue de freiner sa logique destructrice insensée à Gaza, mais aussi au Liban depuis la mi-septembre).
Comme rappelé au début de ces quelques réflexions, c'est par la voix de sa plus haute autorité que les Etats-Unis se sont empressés de disqualifier la décision de la CPI (voir communiqué officiel de son Président, en date du 21 november 2024).
Au delà des opinions issues des cercles politiques nord-américains concernant la CPI, et de leur compréhension somme toute assez particulière de l'ordre juridique international, les mandats d'arrêt délivrés ce 21 novembre par la CPI obligent désormais les États membres du Statut de Rome (voir l'état officiel des signatures et ratifications) à livrer les deux dirigeants israéliens s'ils se trouvent sur leur territoire, ou dans des avions, navires ou autres espaces soumis à leur juridiction: ce qui rendra leurs déplacements à l'étranger nettement plus difficiles. La même possibilité s'étend également au dirigeant du Hamas susmentionné (et qui est considéré comme étant toujours en vie, soit quelque part dans la bande de Gaza, soit à l'extérieur de celle-ci).
En même temps, cette décision de la Chambre préliminaire lance une longue procédure interne à la CPI pour la poursuite et le jugement futur des deux dirigeants israéliens et du chef militaire du Hamas.
En guise de conclusion: la clarté du message envoyé par la CPI aux autres Etats et à d'autres juges
Ces mandats d'arrêt envoient en premier un signal clair à divers États et secteurs politiques qui considèrent depuis un certain temps la justice pénale internationale comme partiale et orientée, en particulier situés sur le continent africain. On rappelera que le premier Etat qui a ratifié le Statut de Rome de 1998 a été le Sénégal (février 1999), et que c'est la ratification número 60 de la République Démocratique du Congo qui a permis son entrée en vigueur (avril 2002). Suivis par bien d'autres Etats de la région, l'enthousiasme initial pour la justice pénale internationale a fait place à un malaise profond en Afrique en observant une CPI particulièrement active en Afrique et beaucoup moins ailleurs, au point de mener plusieurs Etats africains à dénoncer le Statut de Rome : le Burundi en octobre 2016 (voir note diplomatique), la Gambie en novembre 2016 (voir note diplomatique) et l'Afrique du Sud. Concernant cette dernière, sa décision d'octobre 2016 (voir note) a été révoquée quelques mois plus tard, en mars 2017 (voir note). Des critiques concernant la CPI ont également pu s'entendre en Russie et de la part de ses alliés les plus proches, notamment depuis le mois de mars 2023, lorsque la CPI a émis un mandat d'arrêt contre son Président et une haute fonctionnaire russe chargée d'envoyer en Russie des enfants capturés en Ukraine : voir communiqué officiel de la CPI du 17 mars 2023.
Les mandats d'arrêt décidés ce 21 novembre 2024 envoient un message des plus clairs aux États qui, pour une raison ou une autre, continuent de négocier des accords bilatéraux avec les autorités israéliennes actuelles et s'aventurent à les annoncer au beau milieu d'un sommet mondial: lors de la récente COP29 sur le climat à Bakou, en Azerbaïdjan, le Costa Rica a créé la surprise en annonçant la signature d'un protocole d'accord avec Israël en matière d'environnement (voir le communiqué officiel de ses autorités environnementales du 13 novembre et le communiqué officiel de ses homologues en Israël). A peine connue la nouvelle, le Costa Rica s'est vu décerner le prix de "Fossile du jour" par des organisations environnementales internationales: voir l'article publié dans l'hebdomadaire costaricien Ojoalclima, dont la toute dernière partie met en évidence le silence embarrassé (soudain) des autorités costariciennes sur le sujet. Dans un tout autre domaine, le Costa Rica négocie avec Israël depuis 2023 un traité de libre échange (voir communiqué officiel des autorités du commerce extérieur du mois d'octobre 2024), sans que ses autorités n'aient songé à suspendre ces négociations sine die.
Enfin, ces mandats d'arrêt contre deux dirigeants israéliens envoient un signal inéquivoque aux États qui, pour une raison ou une autre, jugent bon de continuer à faire des affaires avec Israël comme si de rien n'était, notamment dans le domaine du commerce des armes et dans bien d'autres domaines hautement stratégiques (fourniture de pétrole notamment, mais aussi de composants électroniques nécéssaires aux systèmes d'information et de communication utilisés par l´armée israélienne).
Il se pourrait enfin que des juges nationaux hésitant saisis d'action en justice y trouvent une raison supplémentaire qui manquait au dossier jusqu' au 20 novembre dernier, pour statuer sur les affaires dont ils sont saisis en faveur des victimes palestiniennes, en conformité avec l'obligation générale des Etats de prévenir le crime de génocide et les crimes de guerre. Il est bon de rappeler que nombreux sont les soldats israéliens exhibant leurs "trophées" et leurs crimes de guerre à Gaza sur les réseaux sociaux possédant un autre passeport en plus du passeport israélien (Note 6).
Il va sans dire que pour l'Afrique du Sud, cette décision des juges de la CPI ouvre la voie à une nouvelle demande urgente en indication de mesures conservatoires dans la cadre de l'affaire Afrique du Sud c. Israël devant l'autre juridiction internationale siégeant à La Haye: la CIJ (voir texte de sa requête introductive d'instance du 29 décembre 2023). Dans sa requête initiale, on y lit (point 4) une description de l'action israélienne confirmée depuis (décembre 2023) par les faits et la réalité sur le terrain:
"4. Les faits sur lesquels l’Afrique du Sud s’appuie dans la présente requête, et qui seront exposés plus en détail au cours de la procédure, établissent que, dans un contexte d’apartheid, d’expulsion, de nettoyage ethnique, d’annexion, d’occupation, de discrimination et de négation persistante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Israël, en particulier depuis le 7 octobre 2023, manque de prévenir le génocide et de poursuivre les auteurs d’actes constitutifs d’incitation directe et publique à commettre le génocide. Plus grave encore, Israël s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes génocidaires contre le peuple palestinien de Gaza".
- - Notes - -
Note 1: On a pu lire sur cet avis consultatif dans la presse en France de la part de l'un des grands spécialistes du droit international public, que: ".... l’avis est une formidable victoire, et, juridiquement, parfaitement fondé. La Cour a rappelé avec fermeté que, « du point de vue juridique, le territoire palestinien occupé constitue une seule et même entité territoriale, dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées », y compris Jérusalem-Est et Gaza. Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle implantation, toute nouvelle activité de colonisation et d’évacuer tous les colons" (voir article paru dans LeMonde du 29 juillet 2024 et intitulé "Alain Pellet, juriste : « La Cour internationale de justice redore le blason du droit international si malmené par ailleurs". Cf. aussi DUBUISSON F., "Les conséquences de l'avis de la CIJ relatif à l'occupation du Territoire palestinien", Yaani, édition du 29 juillet 2024. Texte complet disponible ici; ainsi que MAIA C.& POISSONIER G., "Avis de la CIJ de 2024 relatif à l’occupation du Territoire palestinien : une analyse au prisme du droit international des droits humains", publié sur le site Actualités Droits - Libertés, 2024, édition du 7 octobre 2024. Texte complet disponible ici. Nous renvoyons nos lecteurs à notre note publiée en espagnol: BOEGLIN N., "Ocupación prolongada y colonización ilegal israelí del territorio palestino: apuntes con relación a la reciente opinión consultiva de la Corte Internacional de Justicia (CIJ)", éditée le 19 juillet 2024. Texte complet disponible ici.
Note 2: Cf. notre article BOEGLIN N., "Gaza / Israël : le Procureur de la CPI réaffirme l’urgence d’émettre des mandats d’arrêt ", Pressenza, édition du 4 septembre 2024. Texte complet disponible ici. Le texte a aussi été publié au Liban sur le site d'information de LibnanNews.
Note 3: Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l´égard de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2010, p. 325. Quelques déclarations du chef de la délégation étasunienne après la conférence de Rome de juillet 1998 sont également éclairantes: "En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d´Israël d´être victime d´accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés" (p. 172). On lira également avec intérêt la tentative des Etats-Unis d´exclure de la définition de crimes de guerre le « transfert par un Etat d´une partie de sa population dans un territoire qu´elle occupe » (pp. 171-172).
Note 5: Cf. notre article BOEGLIN N., "Palestine / Cour Pénale Internationale (CPI) : brève mise en perspective concernant la décision récente de la Chambre Préliminaire", Le Monde du Droit, édition du 24 févier 2021. Texte complet disponible ici, également publié dans une version plus longue sur le Club de Media Part, édition du 17 mars 2021. Cf. aussi DUBUISSON F., "Le jugement de la Chambre préliminaire de la CPI du 5 février 2021 statuant sur la compétence territoriale de la Cour en Palestine", Le Club des Juristes, édition du 2 mars 2021. Texte complet disponible ici.
Note 6: Concernant un soldat israélien possédant un passeport délivré par la France, voir cette cette note parue dans Le Monde en avril 2024. Concernant deux soldats belgo/israéliens, cette note de JusticeInfo d'octobre 2024 détaille ces deux affaires devant les tribunaux belges. On y lit que: "Il faut faire respecter le droit international pour forcer un cessez-le-feu et mettre fin à l'impunité qui nourrit les crimes suivants. La justice belge doit faire sa part du travail, aux cotés de la justice internationale". Le Royaume-Uni recense une centaine de ses ressortissants dans les rangs de l' armée israélienne envoyée à Gaza (voir note de presse).