jueves, 21 de noviembre de 2024

Gaza / Israël : la Cour Pénale Internationale (CPI) délivre des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien, de l'ancien ministre de la Défense et d'un chef militaire du Hamas


Gaza / Israël : la Cour Pénale Internationale (CPI) délivre des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien, de l'ancien ministre de la Défense et d'un chef militaire du Hamas



Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin(a)gmail.com


Le 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale (CPI) a annoncé qu'elle avait confirmé et délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de deux hauts dirigeants israéliens et d'un chef de l'aile militaire du Hamas à Gaza.

Les mandats d'arrêt concernent l'actuel Premier ministre et ministre de la Défense d'Israël jusqu'à il y a quelques semaines (voir le communiqué de presse officiel de la CPI) et un commandant militaire du Hamas considéré comme responsable de la planification et de la coordination de l'attaque du 7 octobre 2023 (voir le communiqué de presse).

Dans son premier communiqué concernant les autorités israéliennes, les juges de la CPI ont constaté que :

"With regard to the crimes, the Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu, born on 21 October 1949, Prime Minister of Israel at the time of the relevant conduct, and Mr Gallant, born on 8 November 1958, Minister of Defence of Israel at the time of the alleged conduct, each bear criminal responsibility for the following crimes as co-perpetrators for committing the acts jointly with others: the war crime of starvation as a method of warfare; and the crimes against humanity of murder, persecution, and other inhumane acts. The Chamber also found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu and Mr Gallant each bear criminal responsibility as civilian superiors for the war crime of intentionally directing an attack against the civilian population".

Comme à l'accoutumée, les plus hautes autorités israéliennes n'ont rien trouvé de mieux que d'accuser les trois juges de la CPI qui ont pris cette décision d'« antisémitisme » (voir article du TimesofIsrael). Une ONG comme Amnesty International s'est déclarée profondément satisfaite de cette décision, mais a également exigé que les Etats parties au Statut de Rome de 1998, qui a créé la CPI, respectent toutes leurs obligations (voir communiqué de presse).


Breve mise en contexte

La demande de mandats d'arrêt du Procureur de la CPI attendait patiemment depuis le 20 mai 2024, date à laquelle le Procureur de la CPI a formellement annoncé sa demande de mandats d'arrêt à l'encontre de trois dirigeants du Hamas et de deux hautes autorités israéliennes (voir le lien vers l'annonce en anglais et en français).  Le 20 mai, les Etats-Unis ont exprimé leur opposition catégorique à l'annonce du Procureur (voir le communiqué de presse du Département d'Etat).

Nous avions eu l'occasion d'analyser la portée de l'annonce du Procureur de la CPI (voir notre brève note du 20 mai en espagnol) ainsi que, quelques mois plus tard, les démarches entreprises par plusieurs Etats latino-américains auprès de la CPI pour soutenir cette demande en août 2024 (voir notre note à ce sujet en espagnol intitulée : "América Latina ante el drama en Gaza: a propósito de las observaciones enviadas por Bolivia, Brasil, Chile, Colombia y México a la Corte Penal Internacional (CPI)").

Contrairement à d'autres régions du monde, ce groupe d'Etats a confirmé l'Amérique Latine comme un bastion de la justice pénale internationale et de la lutte contre l'impunité rampante, notamment en ce qui concerne les exactions de toute sorte commises par Israël dans le territoire palestinien occupé.

Fin août 2024, le Procureur de la CPI a eu l'occasion de réitérer l'urgence de l'émission de ces mandats d'arrêt dans une déclaration totalement passée sous silence par les grands médias internationaux : voir notre article en espagnol intitulé « Gaza / Israël : le Procureur de la CPI réaffirme l'urgence des mandats d'arrêt ».

A noter que fin mai 2024, des journalistes d'investigation en Israël ont publié un long rapport sur le système d'écoute auquel les services secrets israéliens soumettaient les ordinateurs et le personnel de la CPI depuis de fort nombreuses années (voir l'article intitulé «Surveillance and intefrerence: Israel's covert war on ICC exposed»).


Les assassinats israéliens expliquent l'absence de mandats d'arrêt pour les autres dirigeants du Hamas après un long délai

Israël ayant procédé à l'assassinat des autres dirigeants du Hamas cités dans la requête du procureur de la CPI dans son communiqué du 20 mai, la Chambre préliminaire a maintenu les mandats d'arrêt aux deux responsables israéliens encore en vie et à un dirigeant du Hamas dont on pense qu'il a échappé à une tentative d'assassinat par les forces militaires israéliennes. Sa mort n'ayant pas été confirmée, la CPI n'a aucun moyen de l'exclure de sa demande. En revanche, nos chers lecteurs pourront lire la décision de la CPI du 9 septembre en vue de suspendre le mandat d'arrêt dans le cas spécifique du dirigeant palestinien du Hamas, Ismael Hanyeh, assassiné par Israël le 31 juillet à Téhéran après avoir assisté à l'investiture du nouveau président iranien (voir texte). 

La longue attente depuis le 20 mai 2024 était en partie due aux démarches initiées par le Royaume-Uni à la fin du mois de juin, ouvrant une période de temps procédurale pour les avis juridiques à soumettre par les États, les ONG et les individus aux trois juges de la CPI. Il convient de noter qu'à la suite des résultats des élections britanniques du 4 juillet, les nouvelles autorités britanniques ont choisi de suspendre cette gestion manifestement dilatoire adoptée par leurs prédécesseurs, probablement à la demande d'Israël (et de son fidèle allié nord-américain).

Les juges de la CPI ont également été soumis à des pressions diplomatiques de toutes sortes de la part de certains grands États donateurs pour qu'ils ne délivrent pas de mandats d'arrêt à l'encontre de dirigeants israéliens. 

Selon certains experts, les pressions diplomatiques exercées par les États-Unis sont allées encore plus loin, en demandant que, si une décision devait être prise, elle ne soit pas rendue publique avant le 5 novembre 2024, date des élections américaines.


Le caractere insensé de la soi-disant « guerre » d'Israël contre Gaza

Le dernier rapport des Nations Unies sur la situation à Gaza (voir le rapport du 19 novembre) rend compte du caractere insensé de l'action militaire israélienne à Gaza, qui a fait près de 44 000 morts (et plus de 100 000 blessés) :

"Between the afternoons of 12 and 19 November, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 307 Palestinians were killed and 932 were injured. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, at least 43,972 Palestinians were killed and 104,008 were injured, according to MoH in Gaza.

Between the afternoons of 12 and 19 November, three Israeli soldiers were killed in Gaza, according to the Israeli military. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, according to the Israeli military and official Israeli sources cited in the media, more than 1,576 Israelis and foreign nationals were killed, the majority on 7 October 2023 and its immediate aftermath. The figure includes 376 soldiers killed in Gaza or along the border in Israel since the beginning of the ground operation. In addition, 2,440 Israeli soldiers were reported injured since the beginning of the ground operation".

Comme on le sait, malgré une très faible couverture dans les médias grand public, le rapport A/79/384 (voir hyperlien), intitulé « Génocide en tant que suppression coloniale » par la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a été présenté à l'Assemblée Générale des Nations Unies en octobre 2024 : sa lecture intégrale est recommandée, car il analyse et détaille l'intention génocidaire documentée des autorités israéliennes actuelles à Gaza (voir en particulier les paragraphes 11-23 et les paragraphes 42-48, ainsi que 68-82).  

Dans ce communiqué de presse du service de presse des Nations Unies du 30 octobre 2024, on peut écouter sa présentation en espagnol ; nos chers lecteurs pourront vérifier par eux-mêmes si ce communiqué de presse et le rapport auquel il se réfère ont été mentionnés dans les médias grand public. Ou si, comme c'est souvent le cas, les agences de presse internationales et les médias internationaux ont ignoré ce rapport.

L'autrice de ce rapport s'est ensuite rendu au Canada le 3 novembre (voir article de de presse), interrogeant la société et le soutien des autorités canadiennes au drame indicible de Gaza, en accordant plusieurs interviews à différents médias canadiens (voir l'un d'entre eux).

Le 8 novembre 2024, les Nations Unies ont publié un autre rapport sur la période allant du 1er novembre 2023 au 30 avril 2024 (voir hyperlien) dans lequel on peut lire (page 6) que :

"The monitoring and verification of grave violations remained extremely challenging, including owing to access constraints, a high level of insecurity, and threats and direct attacks also on United Nations personnel, monitors and humanitarian actors. Nevertheless, verification work continued, with the number of killings verified by OHCHR by 2 September 2024 standing at 8,119 Palestinians in Gaza, including 2,036 women and 3,588 children (1,865 boys and 1,723 girls). Of these verified figures, 7,607 were killed in residential buildings or similar housing, out of which 44 per cent were children, 26 per cent women and 30 per cent men". 

Dans les recommandations finales, outre celles adressées aux autorités israéliennes (pp. 29-30), il est indiqué que les États membres des Nations Unies devraient également prendre certaines mesures (page 31) :

"72. The High Commissioner calls on Member States of the United Nations to: 

a. Consistent with their obligations under international law, assess arms sales or transfers and provision of military, logistical or financial support to a party to the conflict, with a view to cessation of such support to the extent it implicates a real risk of facilitating commission of serious violations of international law; 

b. Support the work of the International Criminal Court in relation to the Occupied Palestinian Territory; exercise universal jurisdiction to try crimes under international law in national courts, consistent with international standards; and comply with extradition requests pertaining to suspects of such crimes to countries where they would face a fair trial;".

Le rapport d'une commission d'enquête des Nations Unies récemment publié A/79/363 (voir hyperlien) et qui a fait l'objet d'un communiqué de presse des Nations Unies du 14 novembre 2024 intitulé "UN Special Commitee finds Israel´s warfare methods in Gaza consistent with genocide, including use of starvation as  weapon of war"(voir hyperlien) mérite d'être mentionné : sa faible couverture par les médias internationaux, confirme une tendance devenue malheureusement habituelle depuis le 7 octobre 2023 pour tout rapport international (ou national) décrivant le drame innommable auquel Israël soumet la population civile palestinienne à Gaza.

Le 14 novembre 2024, la comparution d'un chirurgien ayant opéré des civils à Gaza devant une commission parlementaire britannique la veille a également été diffusée (voir vidéo), dans laquelle il détaille la volonté délibérée d'Israël de causer le plus grand dommage à la population civile, en particulier aux enfants.


En guise de conclusion

Depuis le 21 novembre 2024, la communauté internationale peut compter avec un second pas d'une importance capitale pour la justice pénale internationale, ainsi que pour la lutte contre l'impunité à laquelle les autorités israéliennes se sont habituées depuis de nombreuses années, assurées par une protection de leur allié nord-américain inconditionnel.

En février 2021, un tout premier pas avait été franchi, dans une décision peu médiatisée et peu analysée de la CPI se déclarant parfaitement habilitée juridiquement pour examiner la situation sur l'ensemble du territoire palestinien, sans exception d'aucune sorte : voir notre article en espagnol à ce sujet publié dans le Réseau International des Droits de l'Homme (RIDH) intitulé "Corte Penal Internacional (CPI) / Palestina: se despeja el camino para la justicia penal internacional". 

Lorsqu'une enquête a été formellement ouverte par le Bureau du Procureur de la CPI quelques semaines plus tard, les Etats-Unis ont exprimé leur refus catégorique (voir le communiqué du Département d'Etat du 3 mars 2021).

Il est à noter que cette annonce officielle de la CPI le 21 novembre a été précédée 24 heures plus tôt par une énième tentative des États-Unis au Conseil de Sécurité (voir notre brève note en espagnol), leur délégué choisissant d'exercer seul son droit de veto pour protéger Israël à Gaza, face aux 14 votes favorables des autres États Membres : il s'agit du quatrième veto solitaire des États-Unis depuis le 7 octobre 2023 au Conseil de Sécurité.

Le mandat d'arrêt délivré ce 21 novembre par la CPI oblige désormais les États membres du Statut de Rome (voir l'état officiel des signatures et ratifications) à livrer les deux dirigeants israéliens s'ils se trouvent sur leur territoire, ce qui rendra leurs déplacements à l'étranger nettement plus difficiles. La même possibilité s'étend également au dirigeant du Hamas susmentionné (et qui est considéré comme étant toujours en vie, soit quelque part dans la bande de Gaza, soit à l'extérieur de celle-ci). 

En même temps, cette décision de la Chambre préliminaire lance une longue procédure interne à la CPI pour la poursuite des deux dirigeants israéliens et du commandant militaire palestinien.  

Ces mandats d'arrêt envoient également un signal clair à divers États et secteurs politiques qui considèrent la justice pénale internationale comme partiale et orientée, en particulier sur le continent africain. 

Par ailleurs, ces mandats d'arrêt envoient un signal clair aux États qui, pour une raison ou une autre, jugent bon de négocier des accords bilatéraux avec les autorités israéliennes actuelles et de les annoncer au beau milieu d'un sommet mondial. Lors de la récente COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan, le Costa Rica a créé la surprise en annonçant la signature d'un protocole d'accord avec Israël en matière d'environnement (voir le communiqué officiel de ses autorités environnementales du 13 novembre et le communiqué officiel de ses homologues en Israël) : le Costa Rica s'est vu décerner le prix de « Fossile du jour » par des organisations environnementales internationales (voir l'article publié dans l'hebdomadaire Ojoalclima, dont la toute dernière partie met en évidence le silence des autorités costariciennes sur le sujet).


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