"L’accord de Trump est donc le reflet de la situation
actuelle : une puissance américaine s’exerçant par le langage de la menace, un
mouvement de résistance posant ses conditions prudemment, Israël agitant une
réponse partielle, et des médiateurs arabes poussant pour consolider une trêve
susceptible de sauver des vies.
Mais le véritable succès de cette initiative dépendra de la capacité des parties à transformer la menace en calendrier contraignant et la tutelle en garantie internationale équilibrée".
Temoignage d'Abu Amir, depuis Gaza, 5 octobre 2025,
"L’accord de Trump pour arrêter la guerre à Gaza : entre menaces et réserves". Texte complet disponible ici sur le site de l'UJFP.
Gaza / Israël : un prétendu « Plan de Paix » présenté par les États-Unis et Israël à la lumière du droit international public, analysé depuis le Costa Rica
Nicolas Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR) : contact : nboeglin(a)gmail.com
Note préliminaire de l´auteur: une version en espagnol de ce texte est également disponible ici
Le 29 septembre 2025, depuis la Maison Blanche, le Président des États-Unis et le Premier ministre d'Israël ont annoncé au monde entier un « Plan de Paix » conclu entre eux, en 20 points, pour résoudre le drame indescriptible que vit Gaza (voir cette note de presse de la BBC et le détail des 20 points de l'accord).
Les photos de l'événement et des discussions préalables montrent que le texte a été négocié uniquement entre l'équipe du président des États-Unis et celle du Premier ministre israélien (voir la galerie officielle de photos). Il convient de noter dès à présent la grande couverture médiatique, extrêmement soutenue dans toutes les latitudes, que cette annonce a suscitée. Il en va de même pour la multitude d'opinions, d'articles, d'analyses et d'experts soulignant la valeur de cette proposition.
Photo extraite de note de presse publiée en Israël intitulée «IDF Database suggests at least 83% of Gaza dead were civilians» (Magazine+972, edición du 21 août 2025), dont la lecture intégrale est recommandée
Il faut juste rappeler que 10 jours avant (le 18 septembre 2025), un projet de résolution visant à instaurer un cessez-le-feu et à obliger Israël à laisser entrer l'aide humanitaire d'urgence attendue par la population palestinienne à Gaza a fait l'objet d'un énième veto américain face à 14 votes en faveur au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies : un veto injustifiable, et une déconvenue majeure pour la diplomatie nord-américaine, que nous avons eu l'occasion d'analyser en détail (Note 1). Cet échec cuisant de la diplomatie nord-américaine explique la nécessité, pour les États-Unis également, de chercher de toute urgence un moyen de se présenter sous un meilleur jour au monde en cette fin du mois de septembre 2025. "On veut bien d'un cessez-le-feu et la paix à Gaza, mais sans passer par les Nations Unies, désolés" semble être le message non dit des Etats-Unis au monde entier.
Le Costa Rica, dans un communiqué de presse (voir texte), a salué ce prétendu « Plan de Paix » (Note 2) : sauf erreur de notre part, c'est le seul État d'Amérique Latine dont l'appareil diplomatique s'est empressé de le faire, presque au moment même où il a été annoncé à Washington. Si un autre communiqué similaire a été publié sur le site officiel d'un autre État d'Amérique Latine, ne pas hésiter à nous envoyer l'hyperlien à : cursodicr(a)gmail.com. Un État comme l´Argentine qui, ces dernières années, s'est aligné sur les positions d'Israël et des États-Unis aux Nations Unies, a choisi de ne publier aucun communiqué (voir l'hyperlien vers le site officiel de sa diplomatie).
Il faut savoir que depuis quelques années, le Costa Rica « surprend » parfois par ses positions inhabituelles aux Nations Unies, comme celle enregistrée par exemple en décembre 2022: lorsque l'Assemblée Générale des Nations Unies a voté une demande d'avis consultatif à la justice internationale sur la légalité de la colonisation et de l'occupation du territoire palestinien, le Costa Rica a voté ... contre (avec le Guatemala) en Amérique Latine (Note 3). A ce jour, aucune explication officielle n'a été donnée et le Costa Rica s'est bien gardé d'expliquer son vote aux Nations Unies devant les autres délégations, alors qu'il avait la possibilité de le faire.
Pour nos lecteurs souhaitant connaître en détail la position d'un État relative au drame qui se déroule à Gaza, et qui lui par contre s'est consolidé dans sa région (l'Europe) en tant que leader incontesté en 2025 dans la défense du droit international et des principes bafoués tous les jours par Israël à Gaza depuis presque deux ans, nous renvoyons à la section « La pratique de l'Espagne sur la question palestinienne », disponible sur cet hyperlien parue dans le dernier numéro de la Revista Española de Derecho Internacional (REDI).
Quelques détails sur le « timing »
Le choix des dates n'étant presque jamais le fruit du hasard dans les relations internationales, on peut observer que cette annonce officielle faite le 29 septembre dernier depuis la Maison Blanche intervient :
a) - quelques jours avant la commémoration du deuxième anniversaire du 7 octobre 2023. Afin de contenir la colère profonde des familles des otages israéliens, lassées de voir un accord de libération de leurs proches torpillé au dernier moment par les plus hautes autorités israéliennes, le Premier ministre d'Israël devait être en mesure de proposer un peu d'espoir, pour ce 7 octobre 2025, jour de commémorations en Israël, avec une énième tentative de négociation avec le Hamas pour libérer les otages israéliens, et;
b) - quelques jours après la véritable humiliation subie par le Premier ministre israélien en personne, lorsqu'il a assisté, dans l'enceinte des Nations Unies, au départ massif de presque toutes les délégations au moment où il s'apprêtait à prendre la parole devant l'Assemblée Générale : nos lecteurs costariciens doivent savoir que l'une des rares délégations à être restée sur place était celle du Costa Rica (voir la note de Delfino.cr). C'est la première fois dans l'histoire des Nations Unies qu'un dirigeant d'un État a lu son discours depuis la tribune de l'Assemblée Générale alors qu'il fait l'objet d'un mandat d'arrêt pour crimes de guerre, émis fin 2024 par la justice pénale internationale de La Haye. On notera au passage, concernant l'itinéraire de l'avion entre Tel-Aviv et New York, que les pilotes du Premier ministre israélien ont soigneusement évité de survoler les espaces aériens espagnol mais aussi français (voir l'article d'ElPaís /Espagne avec une infographie très illustrative, ainsi que cet autre article de presse d'ElMundo / Espagne).
À la même date de cette annonce, la Maison Blanche a réitéré sa garantie totale et sa protection absolue envers le Qatar (voir communiqué officiel publié sur le site de la Maison Blanche). On rappelera que le Qatar a subi une frappe de la part d'Israël dans sa capitale Doha, dans le but d'éliminer physiquement les membres de l'équipe de négociation du Hamas: un épisode que nous avons eu l'occasion d'analyser d'un point de vue juridique il y a quelques semaines (Note 4). Lorsque cette attaque surprise a eu lieu à Doha, la délégation du Hamas était en train de négocier les conditions pour un accord de cessez-le-feu et la libération des otages israéliens en échange de prisonniers palestiniens, en présence des médiateurs égyptiens et qataris, avec Israël.
Il convient également de noter que le 25 septembre dernier, on a appris en Israël - mais cela n'a pratiquement pas été relayé par les grandes agences de presse - qu'une importante entreprise nord-américaine avait interdit à Israël d'utiliser ses services de cloud pour stocker des données sur les Palestiniens, obtenues grâce à l'interception d'appels téléphoniques par une unité spécialisée de l'armée israélienne bien connue par les spécialistes, l'unité 8200 : voir l'article publié par Magazine+972, en Israël, intitulé " "Microsoft revokes cloud service from Israel's Únit 8200, following +972 exposé". Le Magazine+972 (voir site) est un média israélien fort bien renseigné, qui avait, en mai 2024, rendu public l'existence d' un programme d'écoutes concernant le personnel de la Cour Pénale Internationale (CPI) depuis de longues années par Israël (Note 5).
De fort nombreux médias internationaux ont également ignoré un communiqué, pourtant officiel, des Nations Unies (voir texte) du 24 septembre 2025, qui condamnait les attaques répétées par drones contre des navires humanitaires se dirigeant vers Gaza en Méditerranée et qui se trouvaient à quelques milles marins de Gaza le 30 septembre dernier.
Comme on peut le constater, face à la pression maximale exercée sur Israël au cours des derniers jours du mois de septembre 2025, ses autorités ont cherché un moyen de détourner l'attention concernant leurs actions militaires menées à Gaza et d'enrayer la critique en Israël de leur gestion depuis le 7 octobre 2023 : et il semble qu'elles aient trouvé en la Maison Blanche un partenaire efficace pour y parvenir.
Le 7 octobre marquant exactement deux ans depuis le 7 octobre 2023, Israël avait en outre besoin d'une manœuvre médiatique d'une certaine envergure afin de masquer son échec à Gaza, n'ayant atteint en deux ans aucun de ses deux objectifs militaires, présentés officiellement comme tels depuis l'après-midi/soirée du 7 octobre 2023 : soi-disant « anéantir le Hamas » et soi-disant « récupérer les otages israéliens ».
Quelques détails passés sous silence ou presque
Un « Plan de Paix »? C'est effectivement le terme utilisé pour qualifier cette annonce faite lors d'une conférence de presse par le président des États-Unis et le Premier ministre israélien : comme nous le verrons ci-après, ce terme ne correspond en rien à ce que l'on entend, du moins historiquement, par cette expression.
La première limite sérieuse de ce prétendu « Plan de Paix » est qu'il s'agirait du premier négocié dans toute l'histoire... en l'absence de l'une des deux parties en conflit : le Hamas n'a pas été consulté et ce qui a été convenu et négocié l'a été entre les États-Unis et Israël. L'Autorité Palestinienne de Ramallah n'a pas non plus participé à ces négociations, ce qui signifie tout bonnement que le point de vue palestinien a été totalement ignoré. S'agissant d'un plan qui vise à pacifier durablement les relations entre Israël et la Palestine à l'avenir, la limitation susmentionnée constitue une innovation totale dans l'histoire des relations internationales, qui mérite d'être mentionnée comme telle. Il n'est pas inutile de préciser, à propos de ces deux États, que le principal soutien et fournisseur d'armes d'Israël sont les États-Unis.
La deuxième limite réside dans le fait que ce soi-disant « Plan de Paix » exige ni plus ni moins que la capitulation totale du Hamas et sa disparition en tant que mouvement politique dans la future gouvernance de la bande de Gaza (point 9 du plan tel que reproduit dans cet article de la BBC). Cela peut expliquer en grande partie pourquoi le Hamas n'a pas été invité à participer à son élaboration. Rédiger un texte dans le dos du Hamas, qui sera ensuite totalement ou partiellement contesté par le Hamas, constitue sans aucun doute une manœuvre des plus évidentes. À cet égard, il est assez étrange que certains commentateurs et notamment des « experts » invités à commenter son contenu sur nombre de plateaux télévisés omettent ce détail.
La troisième limite concerne le caractère général de certains points de ce plan, sans plus de détails pour plusieurs d'entre eux. On énonce une liste de 20 points, mais rien ou presque sur leur mise en oeuvre respective pour certains d'entre eux. Le point 16 sur le retrait d'Israël de Gaza ne donne pas plus de détails sur le calendrier et les mécanismes prévus en cas de non-respect. Les points 7-8 sur l'arrivée massive de l'aide humanitaire dont la population civile palestinienne de Gaza a tant besoin depuis de fort longs mois, supposent de préciser les responsabilités, les mécanismes de vérification, le calendrier, les points d'entrée, etc. Il s'agit d'une opération extrêmement complexe menée par le passé par une agence humanitaire des Nations Unies comme l'UNRWA, et qu'Israël (en accord avec les Etats-Unis et leur plein soutien), a décidé de remplacer para un mystérieuse "fondation humanitaire" privée, dont les actions se sont soldées par un échec total, n'ayant pas permis d'acheminer en toute sécurité l'aide à une population civile palestinienne affamée et désespérée.
Photo extraite de cet article de presse publié en Israel, intitulé "Collaborate or leave: Israel´s cruel ultimatum to humanitarian groups in Gaza", Magazine+972, édition du 24 septembre del 2024, dont la lecture intégrale est recommandée.
La quatrième limite concerne le point 9 sur la future structure internationale chargée d'administrer la Palestine : le principe de libre détermination des peuples oblige à considérer que c'est au seul peuple palestinien qu'il appartient de choisir son mode d'administration, et non à une administration internationale provisoire présidée par... l'actuel président des États-Unis. Dans cette interview de la chaîne qatarie AlJazeera avec un universitaire nord-américain, il est indiqué que ce soi-disant « Plan de Paix » coïncide avec une idée très ancienne défendue par Israël, qui consiste à séparer Gaza du reste du territoire palestinien occupé.
La cinquième limitation de ce plan réside dans le fait que, si l'on compare la formulation de chacun des 20 points, ceux qui intéressent le plus Israël en ce mois de septembre 2025 (la libération des otages israéliens détenus par le Hamas, points 3-4-5-6) font l'objet d'un calendrier détaillé, ce qui n'est pas du tout le cas des autres points. Rien n'est signalé, par exemple, sur le calendrier auquel Israël s'engage pour retirer ses troupes de Gaza ni sur les modalités de ce retrait. Il faut s'attendre à ce que ce point soit celui sur lequel le Hamas insistera dans les objections qu'il fera connaître et que ses porte-parole ont déjà commencé à remettre en question depuis l'après-midi du 1er octobre (voir les notes du journal espagnol ElPais correspondant à l'après-midi/soirée du 1er octobre en Espagne).
Avec un total de 20 points, dont quelques-uns extrêmement détaillés - qui coïncident avec ceux qui intéressent le plus Israël - et les autres sans plus de détails, ce prétendu « Plan de Paix » reflète une stratégie assez simple qui se laisse entrevoir sans difficulté : une proposition de "paix" qui sera partiellement contestée dans plusieurs de ses parties par le Hamas, justifiant ainsi, après une courte pause, la poursuite des opérations militaires insensées d'Israël à Gaza. Le 2 octobre, il a été rapporté que la Ligue des États Arabes avait même jugé plusieurs points de ce soi-disant « Plan de Paix » tout simplement « inacceptables » (voir cette note de presse de LaVanguardia).
Alors que le monde entier analysait le contenu de ce texte, ses lacunes et son potentiel pacificateur, le dernier rapport des Nations Unies sur la situation au 2 octobre 2025 (voir hyperlien) détaille l'acharnement insensé avec lequel Israël continue de mener ses bombardements indiscriminés et la famine qui s'étend à tout le territoire, en précisant que :
""According to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, between 24 September and 1 October, 429 Palestinians were killed, and 1,556 were injured. This brings the casualty toll among Palestinians since 7 October 2023, as reported by MoH, to 66,148 fatalities and 168,716 injuries. According to MoH, the total number includes 300 fatalities who were retroactively added on 27 September 2025 after their identification details were approved by a ministerial committee. MoH further noted that the number of casualties among people trying to access aid supplies has reached 2,580 fatalities and more than 18,930 injuries since 27 May 2025. Moreover, according to MoH in Gaza, as of 1 October, 455 malnutrition-related deaths, including 151 children, were documented since October 2023".
Entre le 2 et le 6 octobre, plusieurs centaines de Palestiniens ont trouvé la mort, suite aux frappes israéliennes, comme si Israël souhaitait éliminer le plus grand nombre possible de personnes avant de mettre fin, pour une courte période, à ses opérations militaires vide de sens à Gaza.
On ne peut que craindre pour la santé de toutes ces familles palestiniennes affamées et démunies, au milieu d'un champ de ruines, lorsque la baisse des températures commencera vers novembre / décembre à se faire sentir à Gaza.
Un peu d'histoire ne fait jamais de mal
L'analyse de l'histoire des innombrables conflits qui ont secoué (et continuent de secouer) la société internationale à maintes reprises dans le passé montre que :
- dans un premier temps, les deux parties à un conflit négocient un cessez-le-feu : soit de manière bilatérale directe, soit avec la médiation de pays tiers qui peuvent faciliter par leur présence la conclusion d'un accord de cessez-le-feu entre les parties, et que ;
- dans un second temps, les deux parties négocient un accord de paix durable et détaillé qui résout les causes à l'origine du conflit.
Ce que les États-Unis et Israël ont présenté au monde le 29 septembre dernier semble davantage constituer une simple proposition de cessez-le-feu d'Israël approuvée par les États-Unis (intégrant les conditions d'Israël et laissant de côté celles du Hamas) qu'un accord garantissant la paix future (ce que suggère généralement l'expression « Plan de Paix » entre deux belligérants).
Le spécialistes du droit international public remarqueront dans ce texte l'absence de toute référence aux résolutions du Conseil de Sécurité ou de l'Assemblée Générale des Nations unies, ou aux arrêts de la Cour Internationale de Justice (CIJ): cette absence témoigne de l'intention délibérée d'Israël et des États-Unis de dissocier la résolution du drame indicible qui se déroule à Gaza du droit international public. Il s'agit là d'un autre détail intéressant, qui est passé totalement inaperçu dans la plupart des articles et des commentateurs, analystes et « experts » saluant ce fameux « Plan de Paix ».
Conséquence logique de ce qui précède, les victimes palestiniennes ne sont mentionnées dans aucun des 20 points de ce document. Comme si, soudainement, il n'y avait plus de règles juridiques applicables, ni de responsables directs en Israël pour les nombreuses exactions commises à Gaza depuis le soir même du 7 octobre 2023 (avec un chiffre officiel de plus de 66 000 morts, probablement bien en deçà de la réalité). Comme on s'en souvient, ces exactions répétées sont juridiquement qualifiées de génocide et de crimes de guerre. Bien qu'elles aient été convenablement ignorées dans ce soi-disant « Plan de Paix », ces exactions sont examinées comme telles :
- devant la CIJ, dans le cadre de l'affaire opposant l'Afrique du Sud à Israël pour génocide à Gaza, et ce depuis décembre 2023 (Note 6), et ;
- devant la Cour Pénale Internationale (CPI) dans le cadre des crimes de guerre commis sur le territoire palestinien de Gaza, avec deux mandats d'arrêt émis par la CPI depuis novembre 2024 contre deux hauts dirigeants israéliens, dont l'un est son actuel Premier ministre ;
De plus, le 3 juillet dernier, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits du peuple palestinien, la juriste italienne Francesca Albanese, a présenté son rapport intitulé : « From economy of occupation to economy of genocide ». Il s'agit du rapport A/HRC/59/23 (disponible sur cet hyperlien) : un rapport qui a motivé des sanctions des États-Unis à son encontre, que nous avons eu l'occasion d'analyser (Note 7). Sur ces sanctions nous nous sommes permis d'indiquer que:
"Le simple fait que les Etats-Unis et Israël (ainsi que leurs alliés et de nombreux cercles d’influence) déploient toute la batterie de pressions diplomatiques et médiatiques contre cette juriste italienne ne fait que renforcer son travail et la qualité de ses rapports sur la situation à Gaza, en particulier les deux précédents rapports présentés en 2024 aux Nations Unies" (Note 8).
En août 2025, les États-Unis n'ont rien trouvé de mieux à faire que de sanctionner également le personnel de la CPI et deux de ses juges pour avoir donné suite aux affaires contre Israël, une décision condamnée par de nombreux États d'Amérique Latine et du reste du monde, à l'exception du ... Costa Rica (Note 9).
Soit dit en passant, lors d'un événement parallèle à l'Assemblée Générale des Nations Unies, c'est précisément ce que la Colombie et l'Afrique du Sud ont fait savoir au reste de la communauté internationale dans un communiqué conjoint, le 26 septembre 2025 : tous les États ont l'obligation juridique de se conformer aux demandes des deux juridictions internationales basées à La Haye et de coopérer avec elles afin de prévenir ce génocide et d'éviter la commission d'autres crimes de guerre (voir texte). L'Espagne en ce sens a annoncé des mesures le 8 septemebre dernier qui devraient pouvoir inspirer d' autres Etats, notamment en Europe (voir annonce oficielle du Palacio de La Moncloa).
Dans son communiqué officiel (voir texte), Amnesty International a souligné le 30 septembre dernier que sans justice pour les victimes palestiniennes, la paix n'est et ne sera qu'une simple illusion. Cette justice pour les victimes palestiniennes s'étend à la situation en Cisjordanie, totalement ignorée dans ce soi-disant « Plan de Paix » : à cet égard, il convient de mentionner l'avis consultatif de la CIJ du 19 juillet 2024 (voir texte en français et en anglais), qui a ordonné à Israël de démanteler les colonies illégales en territoire palestinien et d'indemniser les victimes palestiniennes de cette occupation illégale (voir en particulier les paragraphes 268-272).
L'avant-dernier rapport disponible des Nations Unies (au 25 septembre) sur le drame indescriptible qui se déroule à Gaza, permet de compléter le dernier rapport précité (au 2 octobre) sur le niveau de violence aveugle envers la population civile palestinienne auquel se livrent les forces militaires israéliennes (voir hyperlien).
Opération de communication de grande envergure et Hasbara
Au cours des derniers jours du mois de septembre 2025, Israël avait un besoin urgent d'une opération de communication pour tenter de regagner une certaine crédibilité au niveau international.
Le grand retentissement médiatique observé sous diverses latitudes, provoqué par cette annonce, ainsi que la multitude d'opinions, d'articles, d'« experts » et d'analystes saluant cette proposition conjointe Israël / Etats-Unis, semblent répondre à cette opération de communication.
Il n'est pas inutile de rappeler que dans ce domaine précis (l'image d'Israël à l'étranger), Israël dispose d'un instrument très efficace, relayé dans d'innombrables salles de rédaction dans différentes capitales du monde : la « Hasbara ». Le terme hébreu « Hasbara » vous est-il totalement inconnu, cher lecteur, chère lectrice ? Alors, bienvenu (e) dans l'univers des jeux sémantiques applicables lorsqu'il s'agit d'informer sur ce que fait Israël ! (Note 10).
En ce qui concerne les ressources généreuses allouées à la Hasbara, cette note du média israélien TimesofIsrael, datée du 29 décembre 2024, indique qu'Israël a prévu pour 2025 un effort budgétaire assez inhabituel, en précisant que :
"Under the new budget, the Foreign Ministry will receive $150 million, on top of what it gets for its existing activities, for what’s officially known as public diplomacy, or hasbara in Hebrew. That sum is more than 20 times what such efforts have typically been allotted in past years".
Ce réseau très actif a fait l'objet d'une analyse intéressante dans un ouvrage récemment publié par l'un des experts renommés en relations internationales en France, intitulé de manière fort appropriée
« Permis de tuer. Gaza : génocide, négationnisme et Hasbara »
(voir hyperlien et vidéo du même auteur présentant son livre).
L'auteur y explique en détail comment ce réseau d'information israélien a fonctionné dans le cas spécifique de la France depuis le 7 octobre 2023 (voir chapitre complet sur la Hasbara, pp. 113-137), avec des conclusions qui devraient inspirer les chercheurs et les journalistes d'autres horizons. L'une d'entre elles, en particulier, concerne le nombre de voyages généreusement financés par Israël aux parlementaires français (p. 137).
Afin de pouvoir évaluer l'efficacité de la Hasbara et la complaisance des agences de presse internationales et des rédactions, nos lecteurs pourront vérifier par eux-mêmes la diffusion quasi nulle de ce communiqué de presse en date du 3 octobre des experts des droits de l'homme des Nations Unies sur les graves lacunes et les failles de ce prétendu « Plan de Paix ». De même, nos lecteurs découvriront peut-être en nous lisant que de jeunes militaires israéliennes avaient bien averti leurs autorités de l'imminence d'une attaque bien avant le 7 octobre 2023, sans que cela soit pris au sérieux par leurs supérieurs hiérarchiques (voir hyperlien vers des extraits de la vidéo publiée par FranceInfo le 5 octobre et l'article à ce sujet).
Une interview réalisée en 2024 avec une des grandes spécialistes françaises du Moyen-Orient sur ce qui se passe à Gaza (voir interview) n'a pas non plus réussi à susciter l'intérêt des médias traditionnels en France (et bien ailleurs).
En guise de conclusion
Il semble que l'actuel occupant de la Maison Blanche depuis le 20 janvier dernier ait apporté son soutien total à cette opération de communication urgente dont Israël avait besoin pour redorer quelque peu son image ternie sur la scène internationale : avec un soi-disant « Plan de Paix » qui, comme nous avons tenté de l'expliquer précédemment, n'en est pas un. Sur ce point précis, le 6 octobre dernier, Democracy Now a interviewé un ancien négociateur israélien au sujet de ce soi-disant « Plan de Paix », et l'interview (voir la vidéo disponible sur YouTube) s'intitule « It's Not a Peace Plan » : Ex-Israeli Negotiator Daniel Levy on Trump Push to End War on Gaza ».
Il n'est pas inutile de rappeler la grande couverture médiatique dont a fait l'objet le sommet qui s'est tenu le 15 août dernier en Alaska entre les présidents américain et russe pour parvenir à la paix en Ukraine, et qui s'est soldé par un... fiasco total. Homme de spectacle et de télévision avant tout, le président des Etats-Unis semble enclin a continuer de l'être quelque soit le dossier international à traiter, afin d'ajouter, dans ce cas Gaza, a la liste de conflits internationaux qu'il a prétendument "résolus". Qu'importe la forme, l´essentiel pour lui, c'est d'être au centre du spectacle médiatique.
Ce ne serait pas la première fois que les États-Unis et Israël utilisent leurs appareils de communication respectifs, très efficaces, pour une opération médiatique d'une certaine envergure à l'échelle planétaire : en septembre 2020, ces deux dirigeants ont annoncé au monde entier la conclusion des « Accords d'Abraham » et les ont présentés comme « les » accords du siècle. Comme on s'en souvient, il s'agissait d'accords de normalisation entre Israël et plusieurs États arabes (Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Maroc et Soudan) (Note 11) qui ignoraient complètement le problème non résolu de l'occupation illégale du territoire palestinien par Israël ainsi que ses conséquences pour la population palestinienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
D'une certaine manière, le 7 octobre 2023 est venu rappeler au monde entier, de manière dramatique pour de nombreuses familles en Israël, l'erreur de cette stratégie de prétendue « normalisation » annoncée et saluée depuis 2020 : l'histoire humaine montre qu'on ne résout pas un problème politique en ignorant son existence.
Il convient de noter que quelques heures après l'annonce du 29 septembre concernant ce soi-disant « Plan de Paix », le Premier ministre israélien a précisé dans une vidéo qu'il n'y aurait en aucun cas d'État palestinien à l'avenir (voir la déclaration dans cette vidéo du Times et cette note de presse publiée en France). Sans le vouloir, ces déclarations du Premier ministre israélien révèlent au monde entier les véritables intentions d'Israël qui se cachent derrière ce soit-disant « Plan de Paix » : une manœuvre de plus, déguisée en « Paix », qui lui permette de gagner du temps et de regagner un peu de crédibilité. Une manœuvre qui, en outre, va à l'encontre de la reconnaissance de la Palestine en tant qu'État par la quasi-totalité des États de la planète (à l'exception des États-Unis et du Panama en ce qui concerne l'hémisphère américain) et de la solution à deux États : une solution que la communauté internationale soutient et a défendue dans d'innombrables résolutions de l'Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui ne sont l'objet d'aucune référence dans ce prétendu « Plan de Paix ».
Il est très probable que dans les prochains jours, le Hamas accepte certains points de la proposition mais exige que plusieurs autres soient reconsidérés. Et que le processus de négociation mené par le Hamas, interrompu par la frappe israélienne au Qatar, reprenne son cours avec la médiation de l'Égypte, du Qatar et peut-être aussi cette fois de la Turquie, avec de sérieuses chances d'aboutir cette fois pour la phase initiale d'échanges d'otages israéliens et de prisonniers palestinien. Et qu'Israël trouvera à l'avenir n'importe quel prétexte pour reprendre ses opérations militaires insensées à Gaza, comme il l'a fait en mars 2025 en rompant unilatéralement la trêve conclue avec le Hamas le 15 janvier 2025, et entrée en vigueur le 19 janvier: cet accord de cessez-le-feu se composait de plusieurs phases (voir article de la BBC du 22 mars 2025). La phase 2 prévoyait le retrait israélien de Gaza.
- - Notes - -
Note 1 : Le texte complet du communiqué officiel du Costa Rica publié quelques minutes après l'annonce à la Maison Blanche est le suivant :"Política Exterior, Septiembre 30, 2025, 11:07 AM
Costa Rica reitera su compromiso con la paz y apoya el Plan de 20 puntos para Gaza y Medio Oriente
San José, 30 de setiembre de 2025. El Gobierno de Costa Rica reitera su apoyo a todos los esfuerzos multilaterales y diplomáticos que contribuyan a la resolución pacífica del conflicto en Gaza y Medio Oriente, respetando los derechos humanos y el derecho internacional.
El Plan de Paz de 20 puntos presentado por el presidente de los Estados Unidos de América, Donald Trump para poner fin al conflicto en Gaza y Medio Oriente representa un paso importante hacia la paz, con un enfoque en el alto al fuego, la liberación de rehenes, desmilitarización, reconstrucción y la creación de un gobierno de transición supervisado internacionalmente, que excluye la violencia y busca un futuro de seguridad, justicia, convivencia pacífica y prosperidad.
Costa Rica expresa su apoyo al Plan de Paz de 20 puntos y reafirma su compromiso con la paz en Medio Oriente, objetivo compartido por la comunidad internacional.
Comunicación Institucional 329-2025 CR paz Gaza y Medio Oriente Martes 30 de setiembre de 2025"
Note 2: Cf. BOEGLIN N., "Gaza / Israel: desde una Costa Rica inaudible, apuntes sobre el reciente veto de Estados Unidos en el Consejo de Seguridad", 18 septembre 2025. Texte intégral disponible ici.
Note 3: Cf. BOEGLIN N., "América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina: breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica", 30 décembre 2022. Texte intégral disponible ici. La position du Costa Rica aux Nations Unies, peu débattue, reflète en réalité une lecture très approximative et parfois erronée de ce qui se passe au Moyen-Orient, faite par la société costaricienne elle-même, où une position favorable à Israël prédomine depuis plusieurs décennies : parmi de nombreux exemples, nous pouvons indiquer que le Costa Rica n'a décidé de transférer son ambassade de Jerusalem à Tel Aviv qu´en 2007; et indiquer que la création d'une chaire sur le Moyen-Orient à l'UCR en 2016 a donné lieu à une demande d'enquête de la part de députées d'un parti politique influent (voir la note de novembre 2016 du Semanario Universidad). La seule interview existante à la télévision costaricienne de l'ambassadeur de Palestine Ryad Mansour, couvrant en tant que représentant depuis New York, le Costa Rica et quelques autres Etats, est due à une chaîne de télévision universitaire (voir la vidéo de l'interview réalisée dans le cadre de l'émission « Sobre la Mesa » de Canal15 UCR, du 18 décembre 2015).
Note 4: Cf. BOEGLIN N., "Gaza / Israel: análisis del ataque de Israel a Qatar del 9 de septiembre, desde la perspectiva jurídica", 11 septembre 2025. Texte intégral disponible ici.