A deux ans de l'ouverture à la signature de l'accord d'Escazú aux Nations Unies : bilan et perspectives
Nicolas Boeglin, Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Université du Costa Rica (UCR). L´auteur est également Professeur de Droit International de l´Environnement, Programme de Master en Droit de l´Environnement au sein de cette même unité académique.
Le 26 septembre 2020, deux années se sont écoulées depuis l’ouverture à la signature de l’Accord d’Escazú aux Nations unies.
En effet, c´est depuis le mois de septembre 2018 que cet important accord régional, adopté au Costa Rica en mars de la même année, a été officiellement ouvert à la signature de 33 États (Amérique latine et Caraïbes). Le nom complet de ce traité regional, qui s´inspire en partie de la Convention d´Aarhus adoptée pour l´Europe en 1998 est : “Accord régional sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement en Amérique Latine et dans les Caraïbes“.
Bien qu’il ait été adopté au Costa Rica le 4 mars 2018, du point de vue du droit international public, la vie juridique de l’Accord Escazú en tant qu’instrument international a débuté au moment où il a été officiellement ouvert à la signature des Etats par le Bureau des Affaires Juridiques du Secrétariat Général des Nations unies, organe désigné par le traité comme étant son dépositaire (Article 25) : à cette fin, une cérémonie officielle a été convoquée à New York, selon le protocole officiel prévu par les Nations unies, à laquelle plusieurs États ont participé le 26 septiembre 2018 (comme on peut l´observer dans ce communiqué de presse).
Escazú : une nouvelle année de vie juridique qui prend fin
Le texte de cet instrument, qui a projeté le nom indigène de ce canton de la capitale du Costa Rica au monde entier, est disponible ici (version en francais). L´objectif de cette convention régionale se lit à l´article premier de ce traité regional:
“Article 1. Objectif. L’objectif du présent Accord est de garantir la mise en œuvre pleine et effective en Amérique latine et dans les Caraïbes des droits d’accès à l’information, à la participation publique aux processus décisionnels environnementaux et à la justice à propos des questions environnementales, ainsi que la création et le renforcement des capacités et de la coopération, contribuant à la protection du droit de toute personne, des générations présentes et futures, à vivre dans un environnement sain et au développement durable”.
Dans une précédente note publiée en espagnol à la fin de la première année de vie juridique de cet instrument regional, parrainé par la Commission Économique des Nations Unies pour l’Amérique latine (CEPAL), nous avions indiqué que :
“Le manque d’intérêt de certains Etats, le peu de pression exercée par les organisations de la société civile dans le cas de certains Etats signataires du texte (depuis septembre 2018), ainsi que la pression de certains secteurs influents en sens inverse, peuvent expliquer ces résultats timides concernant un instrument international extrêmement novateur, comme nous l’expliquerons dans les lignes qui suivent” (Note 1).
Au 8 novembre, selon le tableau officiel des Nations Unies (disponible ici) sur l´état des signatures des ratifications obtenues, ont été enregistrées 24 signatures et 9 ratifications : les dernières signatures sont celles du Belize, enregistrée le 24 septembre, et de la Dominique (le même 26 septembre 2020). Il convient de rappeler que cet instrument est ouvert à la signature et à la ratification de 33 États (qui composent la région de l’Amérique Latine et des Caraïbes).
La dernière ratification enregistrée par les Nations Unies est celle de l’Équateur (mai 2020), qui s’ajoute à celles d’Antigua-et-Barbuda, de la Bolivie, du Guyana, du Nicaragua, du Panama, de Saint-Christophe-et-Nevis, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et de l’Uruguay. Il est à noter que ces trois derniers États, ainsi que la Bolivie, ont officiellement déposé leur instrument de ratification le 26 septembre 2019 à New York, première année après l’ouverture à la signature de cet instrument : cette précision dénote le soin et l’extrême préoccupation de leurs autorités politiques et diplomatiques respectives en ce qui concerne le calendrier à suivre pour l’approbation et la ratification de ce traité.
À propos de certaines absences
Pour ce qui est de la signature en tant que telle, il convient de rappeler que, du point de vue du droit international public, la signature constitue une étape formelle préalable sans laquelle le processus de ratification d’un traité international ne peut être engagé : sans la signature de l’Exécutif, les organisations non gouvernementales, les secteurs universitaires, les associations professionnelles et les partis politiques ne peuvent pas articuler une campagne de ratification au sein du Pouvoir Législatif.
En ce qui concerne l’Accord d’Escazú, au moment de la rédaction du présent document (27 octobre 2020), plusieurs États d’Amérique latine sont toujours absents, en particulier le Chili, Cuba, El Salvador, le Honduras et le Venezuela, ainsi que les Bahamas, la Barbade, la Dominique, le Suriname et Trinidad et Tobago.
Nous avions eu l’occasion à l’époque de signaler la profonde incohérence du premier d’entre eux, le Chili (voir notre note) : et ce, en raison du fait que le Chili a été, avec le Costa Rica, le principal promoteur pendant la phase de négociation de cet instrument au cours de la période 2014-2018. Il sied de rappeller que, quelques jours après l’adoption de cet instrument au Costa Rica (mars 2018), le Chili a procédé à l’acte officiel de passation des pouvoirs à ses autorités actuelles, qui ont depuis gardé leurs distances avec cet accord régional. Le communiqué conjoint du Chili et du Costa Rica en date du 7 juin 2018 (voir le texte intégral disponible ici) peut être considéré comme le dernier geste officiel du Chili en faveur de l’Accord d’Escazú. Lors de la session protocolaire aux Nations unies en septembre 2018 pour l’ouverture à la signature de l’Accord d’Escazú, la délégation chilienne a choisi au dernier moment de n’envoyer aucun représentant, à la surprise des autres délégations présentes. Un geste diplomatique rarement observé, et interprété par beaucoup d´ovservateurs comme suit : les nouvelles autorités du Chili ont définitivement choisi de tourner le dos à l’Accord d’Escazú.
Plus récemment, le 21 septembre 2020, l’agence de presse DW a publié une note soulignant les conséquences pour le Chili du maintien de la position de rejet de l’Accord d’Escazú, en l´intitulant : “Chili : le rejet de l’accord d’Escazú met fin à l’aspiration au leadership environnemental“. De même, le spectacle – assez lamentable – offert par les autorités chiliennes a également intéressé la rédaction de la BBC (voir note du 23/09/20120), celle d’El País en Espagne (voir note du 26/09/2020), ainsi que celle de l´agence russe Sputnik (voir note du 25/09/2020), parmi bien d’autres.
En ce qui concerne le délai de deux ans pour déposer la signature de cet instrument (qui ne nécessitait pas plus qu’une instruction envoyée au chef de mission auprès des Nations Unies à New York par le Pouvoir Exécutif), ce délai a expiré le 26 septembre (selon le même article 21 de l’Accord Escazú). À cet égard, la CEPAL elle-même avait publié avant la date butoir du 26 septembre, une note officielle (voir le texte complet) contenant des “informations pratiques” visant à expliquer en détail aux États qui avaient encore l’intention de signer ce traité comment le faire.
La situation particulière de l’accord Escazú au Costa Rica
En février 2019, l’Assemblée Législative a officiellement initié la procédure formelle en vue de l´approbation de ce traité en présentant le projet de loi 21.245 (voir texte complet). Pour un traité international signé par le Costa Rica depuis le 27 septembre 2018, on peut considérer que l’enthousiasme pour déposer la signature à New York a quelque peu faibli à l´heure d´entamer le processus d´ approbation au sein du Pouvoir Législatif.
En juillet 2019, ce furent 17 mécanismes non conventionnels des droits de l’homme des Nations Unies qui ont envoyé une lettre collective au Costa Rica (voir le texte intégral) exhortant ses autorités à accélérer le processus d’approbation et d’entrée en vigueur de l´Accord d´Escazú, indiquant, entre autres, que :
“Ce traité régional historique garantit non seulement une bonne gouvernance en matière d’environnement et de droits de l’homme, y compris le droit d’accès à l’information, de participation au processus décisionnel et de recours, mais il est également un catalyseur pour la protection de l’environnement et le développement durable. L’accord met particulièrement l’accent sur l’objectif fondamental de la protection du droit de vivre dans un environnement sain”.
Malgré cet appel lancé au Costa Rica (et à d’autres États) par les Nations Unies, et malgré le fait que le Costa Rica ait accueilli le dernier tour de négociations qui a donné le nom d’Escazú à cet instrument régional, il n’a toujours pas déposé l’instrument de ratification auprès des Nations Unies, et ne le fera pas pour un certain temps.
En effet, le texte a été approuvé en premier débat par l’Assemblée Législative le 13 février 2020 et envoyé pour consultation (obligatoire) au juge constitutionnel. À ce jour, il n’a pas encore été approuvé en deuxième débat et le processus d’approbation est suspendu. Dans un premier temps, la Cour Constitutionnelle du Costa Rica a détecté un défaut dans la procédure d´approbation suivie par (voir sa résolution 06134-2020 de mars 2020). Puis, elle a déclaré “inévacuable la consultation législative obligatoire” (voir la résolution 015523-20 du 18/08/2020 et dont le texte complet n’a pas encore été publié sur le site de la Cour) : la lecture de cette phrase indique que toute la procédure devra être réinitiée depuis le tout début.
Notons que lors de la première décision de la Cour Constitutionnelle du Costa Rica, une magistrate a jugé utile (et opportun) de rappeler qu’au-delà de l’erreur détectée dans la procédure d´approbation de l’Accord Escazú, le texte contient (selon elle) des dispositions contraires à la Constitution : la révision des critères exposés par cette juge dénote sa méconaissance de certains principes (fondamentaux) du droit de l’environnement en vigueur. En particulier, nous renvoyons nos lecteurs à un article publié au Costa Rica (disponible en ligne depuis le mois d ´octobre 2019) dans lequel il est expliqué que la législation et que les tribunaux costariciens ont intégré ce qui semble constituer une préoccupation majeure pour la juge susmentionnée, et ce depuis de nombreuses années (Note 2).
En ce qui concerne le fait (selon six magistrats de la Cour Constitutionnelle des sept qui en Font partie) que l’Accord Escazú signifie un poids supplémentaire dans le budget ordinaire du Pouvoir Judiciaire, cet argument est fort discutable, car l’Accord Escazú inclut à plusieurs reprises des expressions telles que “Chaque État, dans la mesure de ses possibilités“, “Chaque État, selon ses règlements intérieurs“, offrant aux États une marge de manœuvre pour la mise en œuvre de ses diverses dipsositions.
Ainsi, par exemple, l’article 6, paragraphe 1, est libellé comme suit :
“Article 6. Génération et divulgation de l’information environnementale. 1. Chaque Partie garantit, dans la mesure des ressources disponibles, la génération, la compilation, la mise à disposition du public et la diffusion par les autorités compétentes de l’information environnementale pertinente pour leurs fonctions de manière systématique, proactive, opportune, régulière, accessible et compréhensible, ainsi que la mise à jour périodique de cette information et promeut la désagrégation et la décentralisation de l’information environnementale aux niveaux infranational et local” (c’est nous qui soulignons)
Il en est de même pour l’article 10, qui couvre toutes les dispositions précédentes du texte (y compris l’article 8 concenant l’accès à la justice en matière environnementale), et qui stipule clairement que :
“Article 10. Renforcement des capacités 1. Pour contribuer à la mise en œuvre des dispositions du présent Accord, chaque Partie s’engage à créer et renforcer ses capacités nationales, sur la base de ses priorités et besoins. 2. Chaque Partie, selon ses capacités, peut prendre, entre autres, les mesures suivantes: … “(c’est nous qui soulignons).
Sauf erreur de notre part, il n’existe aucun cas de traité international sur les droits de l’homme ou sur des questions environnementales qui ait été approuvé par le Pouvoir Législatif au Costa Rica et qui ait soudainement suscité tant d’inquiétudes chez le juge constitutionnel en ce qui concerne le budget du Pouvoir Judiciaire. Derrière cette attitude du juge constitutionnel costaricien, qualifiée – avec juste raison – de “mesquine” par le professeur Alvaro Sagot Rodríguez (voir la note de presse de l’émission Amelia Rueda du 25/09/2020), il peut y avoir d’autres motivations que nous allons essayer d’etayer dans les lignes qui suivent.
En effet, il est très probable que l’Accord Escazú ne soit pas bien perçu par plusieurs des membres actuels de la Cour Constitutionnelle : comme on le sait, cet accord précise dans un instrument contraignant la portée du Principe 10 de la Déclaration de Rio de 1992. Le “Principe 10” consacre le principe de la participation du public en matière d’environnement. Or, iI est bon de rappeler qu’en février 2017, la même Cour Constitutionnelle a opté pour une régression majeure par rapport à sa jurisprudence antérieure, lorsqu’elle a considéré dans sa décision 1163-2017 (voir texte complet) relative au projet controversé d’aqueduc Coco-Ocotal à Sardinal, que la participation du public en matière d’environnement … n’est plus un droit de l’homme (Note 3) : une phrase célébrée immédiatement par une Direction de l’Eau du Ministère de l’Environnement débordante d´enthousiasme (voir son communiqué de presse ).
En ce qui concerne un autre problème qui a été porté à l’attention de la justice constitutionnelle, celui des tours installées par les operateurs de téléphonie mobile, un juriste costaricien fin observateur avait déjà décelé une révision sérieuse des critères du juge constitutionnel, lorsqu’il écrit que :
“… nous voyons de façon grotesque comment ces juges ont ouvertement reconnu la régression des droits fondamentaux lorsqu’ils affirment que le droit de participation doit être “assoupli”, un aspect qui est préjudiciable à un État qui s’est proclamé et est internationalement reconnu comme un Etat défenseur des droits fondamentaux” (Note 4).
Pour atteindre une telle régression jurisprudentielle en matière d’environnement (Note 5), on peut penser que certains milieux l´ont “obtenu” en modifiant la composition de la Cour Constitutionnelle, qui dépend des instances politiques correspondantes : sur ce point précis, il n’est pas superflu de mentionner le fait qu’en novembre 2012, le juge constitutionnel Fernando Cruz Castro avait fait l’objet d’une manœuvre politique – assez grossière – sous prétexte qu’il “ne favorise pas un climat d’affaires” (Note 6). Cette initiative audacieuse, soutenue par 38 députés qui ont voté en faveur de la non réélection de ce magistrat, n’a finalement pas porté ses fruits; mais elle a permis de mettre en évidence certains secteurs politiques et économiques, trahis par leur silence.
En ce qui concerne la participation citoyenne en matière d’environnement au Costa Rica, il est également intéressant de rappeler qu’en 2008, le Pouvoir Exécutif a opposé son veto à une loi adoptée le 30 octobre de cette année-là par l’Assemblée Législative et intitulée “Loi de renforcement des mécanismes de participation citoyenne en matière d’environnement” : c’est le seul texte adopté par le Congrès auquel le Pouvoir Exécutif a opposé son veto pendant l’administration (2006-2010). Là encore, on ne peut que constater le niveau de crispation profonde qui peut s´installer au sein de certains milieux (et transmis à leurs opérateurs politiques) dès que l´on songe à renforcer des mécanismes de participation du public en matière d’environnement au Costa Rica.
Pour en revenir à la lecture (assez particulière) faite par la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle considère que l’Accord d’Escazú affectera le budget du Pouvoir Judiciaire, obligeant l’Assemblée à relancer le processus d’approbation en premier débat, il est surprenant d´observer que dans aucun des dix États qui ont déjà finalisé le processus d’approbation de cet instrument (le Congrès argentin étant le dernier à l’avoir fait, le 24 septembre dernier), un tel argument n’a été mentionné. Dans le cas de la consultation menée auprès de diverses institutions péruviennes, dont le Pouvoir Judiciaire, aucune n’a détecté de conséquences budgétaires (voir le texte complet de la demande d’approbation du Congrès péruvien en date du 2 août 2019) ; dans le cas de l’Uruguay, parmi les divers documents élaborés au cours du processus suivi (voir lien officiel), aucun ne fait état de problèmes budgétaires pour le système judiciaire uruguayen.
Si, au fur et à mesure que de nouvelles ratifications de l’Accord d’Escazú sont enregistrées, l’argument de la Cour Constitutionnelle du Costa Rica ne trouve d’écho dans aucun autre État d’Amérique Latine et des Caraïbes, on devra conclure que la “mesquinerie” de son Pouvoir Judiciaire est – honteusement – unique dans la région.
Un promoteur absent des signatures (le Chili) et l’autre des ratifications (le Costa Rica)
Deux ans après l’ouverture de l’accord d’Escazú à la signature et à la ratification, l’absence de ratification du Costa Rica ne doit pas être comprise comme un problème national uniquement. Si l’arrêt du processus d’approbation au Costa Rica peut être considéré comme une manœuvre subtile de la part de certains secteurs, déterminés à retarder ou à entraver le processus de ratification au Costa Rica, cette absence du Costa Rica a un effet très grave dépassant – malheureusement- les frontières costariciennes.
En tant que principal promoteur de cet accord avec le Chili jusqu’en mars 2018, cette absence de ratification place les autorités costariciennes dans une situation quelque peu ambiguë dans la région centraméricaine, puisque ses deux voisins directs ont déjà ratifié cet instrument (le Panama et le Nicaragua).
Il convient également de noter qu’en tant qu’État hôte du dernier tour de négociations au cours duquel le texte du futur instrument est adopté, un État prend un engagement particulier envers les autres États. La pratique internationale montre qu’il est généralement parmi les premiers États à ratifier l’instrument, confirmant ainsi la communauté internationale et l’opinion publique internationale quant à son engagement ferme en faveur des objectifs poursuivis par le traité. En ce qui concerne un autre traité régional signé au Costa Rica, la Convention Américaine Relative aux Droits de l’Homme, son adoption en 1969 a été suivie de la ratification par le Costa Rica dont l’instrument de ratification a été déposé le 4/08/1970 : il s’agissait de la première ratification dans l’hémisphère américain de cet instrument emblématique, et dont le Costa Rica est si fier, et avec raison.
Dans le cas de l’Accord d’Escazú, l’absence de ratification par le Costa Rica envoie un signal extrêmement dangeureux, en particulier à certains secteurs politiques d’autres latitudes de l’Amérique latine, fermement opposés à toute consolidation des droits de ceux qui défendent l’environnement.
Au Chili, mais aussi en Colombie, ainsi qu’au Pérou et au Paraguay, on a pu observer la créativité de certains secteurs politiques en quête d’arguments (fallacieux et même fantaisistes) pour tenter d’empêcher à tout prix l’approbation de ce texte : à titre d’exemple, cette note de presse paraguayenne sur la lecture particulière de l’Église catholique au Paraguay qui lie l’avortement à l’Accord d’Escazú ( et conduisant le Pouvoir Exécutif à retirer du Pouvoir Législatif le projet de loi d´adoption de l´Accord d´Escazú en décembre 2019); ou encore cette autre note de presse péruvienne sur la prétendue perte de souveraineté en Amazonie péruvienne. Ces exemples parmi bien d´autres de ce que nous pourrions décrire comme des “perles”, reflètent en fait l´existence d´une véritable campagne de désinformation menée par divers secteurs, soutenus par certains universitaires ainsi que par des milieux professionnels et des médias influents, et ce dans diverses parties du continent américain.
Dans un récent communiqué d’août 2020 (voir le texte complet), l’Association Péruvienne des Ingénieurs a détaillé toutes les raisons qui existent pour s’opposer à cet accord et a souligné un tout dernier point … qui permet de mieux apprécier certains éléments de cette véritable campagne contre ce traité, et qui est observée dans différentes parties de l’Amérique latine :
“L’Association des ingénieurs du Pérou considère que l’approbation du soi-disant Accord Escazú causera de sérieux dommages au développement du pays, parmi lesquels : /…/
- Décourager les investissements nationaux et étrangers, paralyser les projets viables au détriment du développement national et accroître le fossé socio-économique“.
Pour évaluer la pertinence d’une telle conclusion de l’Association d’ingénieurs du Pérou, comme celle indiquée au point E, il suffit d’examiner la même déclaration écrite par les ingénieurs péruviens lorsqu’ils soulignent, au debut de leur communiqué, que :
“Ces deux lois péruviennes envisagent expressément les trois droits environnementaux mentionnés dans l’accord Escazú. De même, l’État a développé des réglementations intégrales sur ces mêmes droits“.
Question simple : comment un traité regional, qui reprend ce qui existe déjà dans la législation environnementale péruvienne, peut-il décourager les investissements ?
Notons que dans la liste d´arguments contenue dans le communiqué de l’Association péruvienne des ingénieurs, apparaît le même point qui semble tant préoccuper, à plusieurs kilomètres de Lima, la magistrate costaricienne précitée (l’inversion de la charge de la preuve en matière d’environnement).
Au-delà des contradictions de certains dans leurs efforts en vue de discréditer le contenu de l’Accord d’Escazú, en parvenant à des conclusions totalement erronées, il convient de noter qu’en deux ans de débat intense avec la société civile chilienne, le Pouvoir Exécutif chilien s’était limité à fournir des déclarations de plusieurs de ses autorités recueillies dans certains médias, mais s’était abstenu de publier un texte officiel expliquant et justifiant les raisons exactes pour lesquelles il s’oppose à la simple signature de l’Accord d’Escazú. Les raisons que l’Exécutif chilien a de s’opposer à cet accord étaient-elles si solides qu’elles ne méritaient pas d’être publiées dans un document officiel portant le sceau de l’État chilien ?
Ce n’est que le 22 septembre 2020 (le jour où le chef de l’État chilien a prononcé son discours devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, réaffirmant l’engagement du Chili en faveur de l’environnement) qu’un document de 12 pages a été rendu public par certains médias. La lecture de ce document, disponible ici , permet d´observer qu´il a été diffusé sans inclure de tampon officiel ni de signature, ce qui est assez surprenant pour un document censé être officiel : comme prévu, le texte omet de mentionner le fait que la plupart des dispositions de l’Accord d’Escazú trouvent leur origine dans des propositions faites par le Chili, qui ont ensuite été approuvées ou modifiées par certains États au cours des négociations. La discussion devant les membres du Congrès chilien et les réponses données (vidéo disponible ici) ont mis en évidence la grande faiblesse des arguments défendus par les deux ministres chiliens appelés à comparaître devant la Commission des Affaires Étrangères de la Chambre des Députés du Chili.
Il ne fait aucun doute que l’Accord Escazú a de nombreux opposants qui le perçoivent comme une menace sérieuse. A tel point que, pour ces secteurs qui cherchent à polariser la discussion, la simple signature du texte par un Etat doit déjà être fermement combattue.
L’attitude de défiance de certains chefs d’Etat et leur capacité d’argumentative assez limitée peuvent expliquer la polarisation sociale croissante dans certains États d´Amérique Latine. Ainsi, lorsque, contrairement au Chili, le Pouvoir Exécutif colombien a finalement choisi de signer l’Accord d´Escazú le 11 décembre 2019, nous nous sommes permis de conclure dans une brève note (disponible ici ) que :
“… en Amérique latine, les deux États où se développent de fortes mobilisations sociales et des protestations en cette fin d´année 2019 coïncident avec les deux seuls États dont les autorités ont officiellement prétendu s’opposer à la signature de l’Accord d’Escazú“.
En guise de conclusion : vers une entrée en vigueur prochaine sans le Costa Rica
L’Accord d’Escazú n’est pas encore entré en vigueur pour les États qui l’ont ratifié, car il doit être ratifié par 11 États. À l’heure actuelle, neuf ratifications ont été enregistrées par les Nations Unies, et le processus de ratification en Argentine a conclu sa dernière étape sans aucun problème (voir la note de presse parlementaire du 16/09/2020).
Au-delà de la profonde contradiction du Pouvoir Exécutif du Chili décidant de la porter à son expression maximale, et, plus subtile, de l´attitude du juge constitutionnel du Costa Rica, on se doit d´indiquer que le fait de ne pas faire partie des onze premiers États parties à l’Accord d’Escazú empêchera le Costa Rica et le Chili de participer à la première Conférence des États parties (ou COP) au cours de laquelle seront discutés les différents mécanismes de supervision et de contrôle prévus dans cet instrument. Les deux principaux États promoteurs d´une convention régionale sans pouvoir le ratifier à temps pour intégrer la première COP ? C’est la situation – somme toute insolite – que nous observerons en ce qui concerne l’Accord Escazú.
L’entrée en vigueur de cet instrument, le premier au niveau international à étendre une protection spéciale à ceux qui défendent l’environnement, constitue une véritable urgence face aux effets du changement climatique, à la perte accélérée de la biodiversité et au manque de protection des sources d’eau potable et des sols dans d’innombrables régions d’Amérique latine et des Caraïbes. Mais aussi en raison de la nécessité de régler une vieille dette latino-américaine avec la participation des citoyens en matière d’environnement, avec la justice environnementale et avec ses communautés indigènes.
D’autant plus qu´il s´agit d´une région du monde, l’Amérique latine, qui se distingue des autres par le fait qu’elle concentre la plupart des assasinats de responsables d´associations environnementales et communautaires, accompagnés d’intimidations et de nombreuses autres façons de saper les efforts de personnes et de communautés courageuses qui consacrent une partie de leur vie à la justice environnementale.
À cet égard, il convient de rappeler qu’il y a plus de dix ans, le Honduras (un État beaucoup plus discret que le Chili qui n´a pas non plus signé l’Accord d’Escazú) a été condamné en raison de la mort d’une personne qui défendait l´environnemnt et qui n’avait pas fait l’objet d’une enquête de la part de ses autorités : dans son arrêt historique de 2009 (Note 7), qui devrait être connu de toutes les familles de victimes d’assassinats de défenseurs de l’environnement qui souffrent de voir l´impunité s´installer, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme n’a pas hésité à avertir (voir le texte intégral de l’arrêt dans l’affaire Blanca Jeannette Kawas-Fernandez, assassinée en 1995) que :
“149. La reconnaissance du travail accompli par la défense de l’environnement et de sa relation avec les droits de l’homme devient de plus en plus importante dans les pays de la région, où l’on signale de plus en plus de menaces, d’actes de violence et d’assassinats d’environnementalistes en raison de leur travail” (traduction libre de l´auteur de: “149. El reconocimiento del trabajo realizado por la defensa del medio ambiente y su relación con los derechos humanos cobra mayor vigencia en los países de la región, en los que se observa un número creciente de denuncias de amenazas, actos de violencia y asesinatos de ambientalistas con motivo de su labor”).
En conclusion, et pour revenir à la position inhabituelle officiellement exprimée par le Chili (voir cette note de presse sur la session fort tendue, tenue au Sénat, 28/09/2020), la position de ses autorités ne peut que conduire à une nouvelle exacerbation du climat social au Chili. Sur ce dernier point, nous nous permettons de citer ce récent communiqué conjoint d´organisations chiliennes (voir le texte intégral en espagnol) , dont les sentiments sont sans aucun doute partagés par de nombreuses autres communautés d´Amérique Latine assistant, impuissantes et indignées, à la destruction de leur environnement naturel et de leurs sources d’eau, et qui indique que :
“Violent est que les industries sont la cause de la mauvaise qualité de vie de ceux qui vivent à Quintero et Puchuncaví ; violent est que l’eau existe pour irriguer les avocats, mais pas pour la subsistance de la population ; violent est que la population n’est pas prise en compte et ne peut pas avoir accès à toutes les informations qui la concernent ; violent est qu’ils nous assassinent pour avoir défendu la planète ; et violent est que notre propre président n’ait pas encore signé l’Accord Escazú ”.
—–Notes —
Note 1: Cf. BOEGLIN N., “Acuerdo de Escazú: a un año de su firma, primeras señales”, DerechoalDía, édition du 29/09/2019, disponible ici .
Note 2: Cf. PEÑA CHACÓN M., “Acuerdo de Escazú y la carga de la prueba ambiental en Costa Rica“, site du Sistema de Estudios de Posgrado, Universidad de Costa Rica, 29/10/2019, disponible ici .
Note 3: Concernant cette décision vivement critiquée prise par le juge constitucionnel au Costa Rica, voir ce communiqué de la FECON (Fédération des Entités Ecologiques du Costa Rica). Nous renvoyons également aux deux articles suivants: ARROYO ARCE K., “La participación del público en materia ambiental y el artículo 9 de la Constitución Política: breve reflexión sobre la resolución N° 1163-2017 de la Sala Constitucional de Costa Rica“, Derechoaldia, édition du 3/04/2017, disponible ici ; SAGOT RODRÍGUEZ A., “Regresión en Derechos Humanos por orden constitucional“, article d´opinion, DiarioExtra, édition du 7/03/2017, disponible ici .
Note 4: Cf. SAGOT RODRÍGUEZ A.,” (In) justificaciones constitucionales que han permitido regresiones ambientales”, site de la Maestría en Derecho Ambiental, Facultad de Derecho, Universidad de Costa Rica (UCR), disponible ici.
Note 5: De manière a ne pas faire rougir davantage nos chers collègues juristes spécialistes en droit de l´environnement, en ce qui concerne la régression manifeste de cette décision du mois de février 2017, nous nous permettons de renvoyer au paragraphe 231 de l´avis consultatif de la Cour Interaméricaine des Droits de l´Homme 23 (OC-23), diffusé en 2018 (voir texte complet ) et qui précise bien que : “ 231. Par conséquent, la Cour considère que, du droit de participer aux affaires publiques, découle l’obligation des États de garantir la participation des personnes relevant de leur juridiction à la prise de décisions et de politiques susceptibles d’affecter l’environnement, sans discrimination, d’une manière juste, significative et transparente, pour laquelle ils doivent avoir préalablement garanti un accès aux informations pertinentes »(traduction libre de l´auteur de: “231. Por tanto, esta Corte estima que, del derecho de participación en los asuntos públicos, deriva la obligación de los Estados de garantizar la participación de las personas bajo su jurisdicción en la toma de decisiones y políticas que pueden afectar el medio ambiente, sin discriminación, de manera equitativa, significativa y transparente, para lo cual previamente deben haber garantizado el acceso a la información relevante“). Au paragraphe 242 de cet avis consultatif, on y lit que pour le juge interaméricain: “g. Les États ont l’obligation de garantir le droit à la participation publique des personnes placées sous leur juridiction, consacré à l’article 23.1.a de la Convention américaine, à la prise de décisions et aux politiques susceptibles d’affecter l’environnement, conformément aux paragraphes 226 à 232 de cette avis consultatif » (traduction libre de l´auteur de “g. Los Estados tienen la obligación de garantizar el derecho a la participación pública de las personas bajo su jurisdicción, consagrado en el artículo 23.1.a de la Convención Americana, en la toma de decisiones y políticas que pueden afectar el medio ambiente, de conformidad con los párrafos 226 a 232 de esta Opinión“).
Note 6: Cette expression a été utilisée par le chef parlementaire du parti Liberación Nacional (PLN) afin de justifier au mois de novembre 2012, l´idée – somme toute saugrenue – de séparer de son poste le magistrat Fernando Cruz Castro (voir notamment cette entrevue realisée par le Semanario Universidad). Cette initiative politique contre le magistrat Fernando Cruz Castro donna lieu a une mobilisation sans précédent au Costa Rica en sa faveur. Le Rapporteur Spécial des Nations Unies pour l´Indépendance des Magistrats et des Avocats envoya une communication aux autorités du Costa Rica (voir texte complet), précisant, entre autres, que :
“Je tiens à exprimer ma consternation face aux allégations selon lesquelles les événements contre le juge Fernando Cruz ne représenteraient pas un cas isolé, mais feraient partie d’une nouvelle tendance à l’intimidation et au contrôle systématique du Pouvoir Judiciaire par le Pouvoir Législatif » (traduction libre de l´auteur de “quiero expresar mi consternación por las alegaciones según las cuales los acontecimientos en contra del Magistrado Fernando Cruz no representarían un caso aislado, sino formarían parte de una nueva tendencia a la intimidación y control sistemático del Órgano Judicial por parte del Órgano Legislativo“).
Note 7: Cet arrêt du mois de juillet 2009 est à bien des égards précurseur, concernant des faits remontant à février 1995 : en effet, c´est la première fois que le juge interaméricain a eu l´occasion d´analyser les conséquences juridiques découlant de l´assassinat d´un défenseur de l´environnement non enquêté, ni sanctionné. Sa lecture complète s´impose, puisque la Cour Interaméricaine a ordonné au Honduras non seulement le paiement d´une indemnisation a la famille de la victime, mais aussi la création d’ une réserve naturelle devant porter le nom de Blanca Jeannette Kawas-Fernandez, d´une place publique et d´un programme de bourse portant également son nom, entre bien d´autres mesures prévues aux paragraphes 156-226 de cet arrêt. Et ce, en raison de l´effet intimidant d´un assassinat qui s´est maintenu dans la plus totale impunité pour une communauté, mais aussi pour une société comme la société hondurienne. Comme l´indique le paragraphe 153 de cette decision du juge interaméricain :
« 153. Comme cela a été évalué dans d’autres cas, il ne fait aucun doute que ces circonstances ont également eu un effet intimidant sur d’autres personnes qui se consacrent à la défense de l’environnement au Honduras ou sont liées à de telles causes. Un effet intimidant qui est accentué et aggravé par l’impunité dans laquelle les faits sont maintenus » (traduction libre de l´auteur de: “153. Como lo ha valorado en otros casos es indudable que estas circunstancias también han tenido un efecto amedrentador sobre las otras personas que se dedican a la defensa del medio ambiente en Honduras o se encuentran vinculadas a ese tipo de causas. Efecto intimidante que se acentúa y se agrava por la impunidad en que se mantienen los hechos“).
Dix ans plus tard, en octobre 2019, la Cour Interaméricaine des Droits de l´Homme a décidé de maintenir la procédure relative à la mise en oeuvre de l´ arrêt de 2009 par le Honduras, au motif de la résistance affichée par cet Etat pour s´y conformer (voir arrêt du 7/10/2019). On notera que le cas de l´assassinat au Honduras en mars 2016 de Berta Cáceres, figure reconnue en matière de défense de l´environnment et des droits des populations autochtones, a donné lieu à une mise en scène et a une soi-disante “enquête” par les autorités hondurienne si peu crédibles, qu´un groupe d´experts international a été rapidement constitué afin de mener une véritable enquête (“Grupo Asesor Internacional de Personas Expertas” / GAIPE) en vue de dilucider cette affaire et d´identifier les auteurs matériels et intellectuels de cet assassinat (voir le site officiel et le rapport de 2017 du GAIPE intitulé “Justicia para Berta Cáceres Flores“, contenant un Annexe 2 repertoriant les diverses menaces reçues par Berta Cáceres avant sa mort). Dans ce rapport publié par le GAIPE vers la fin de l´année 2017, (voir texte complet), on y lit que :
“6. L’assassinat de Berta Isabel Cáceres Flores, perpétré le 2 mars 2016, répondait, au moins, à un plan conçu par des cadres supérieurs du DESA, au moins depuis novembre 2015, ayant été délégué à l’un des traité l’exécution de l’opération et l’articulation avec des agents étatiques et non étatiques pour y parvenir ” (traduction libre de l´auteur de: “6. El asesinato de Berta Isabel Cáceres Flores ejecutado el 2 de marzo de 2016, respondió, como mínimo, a un plan concebido, por altos directivos de DESA, al menos desde el mes de noviembre de 2015, habiéndose delegado en uno de los procesados la ejecución del operativo y la articulación con agentes estatales y no estatales para lograrlo“).
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