Demande d'avis consultatif à la justice internationale sur la situation en Palestine : la CIJ annonce la fin de la réception des exposés écrits des Etats et des organisations internationales
Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin@gmail.com
Une version en espagnol de ce texte est également disponible
Dans un communiqué de presse, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a annoncé le 7 août 2023 avoir reçu divers exposés écrits provenant d'États et d'organisations internationales en vue de la préparation de son avis consultatif sur l'occupation et la colonisation prolongées du territoire palestinien par Israël : voir le communiqué de presse officiel de la CIJ en anglais et en français. Cette procédure consultative a été enregistrée par le Secrétariat de la CIJ sous l´appellation officielle suivante: "Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est".
Parmi les 57 opinions juridiques enregistrées, on compte en provenance du continent américain, les exposés écrits (par ordre chronologique) du Canada, du Chili, de la Guyane, du Brésil, du Belize, des États-Unis, de la Bolivie, de Cuba, de la Colombie et du Guatemala ; aucune organisation de ce continent n'a envoyé d´opinion juridique, contrairement, par exemple, au continent africain, avec un avis de l'Union Africaine (UA), en plus de ceux de deux autres organisations internationales : la Ligue des États arabes et l'Organisation de la Coopération Islamique.
En ce qui concerne le continent africain, on recense les avis envoyés, (toujours en ordre chronologique), par la Namibie, l´Algérie, l´Egypte, l´Afrique du Sud, la Gambie, Maurice, Djibouti et le Togo.
Pour ce qui est du Moyen-Orient, des observations écrites ont été reçues (par ordre chronologique) de la part de laTurquie, de la Jordanie, du Liban, d'Israël, de la Syrie, de la Palestine, de l'Égypte, de l'Arabie Saoudite, du Qatar, du Yémen, des Émirats Arabes Unis, d'Oman et du Koweït.
Enfin, depuis l´Asie, les opinions juridiques envoyées sonte celles du Bangladesh, du Japon, des Maldives, du Pakistan, de la Chine, de la Malaisie, de l´Indonésie, de Nauru et des Fidji.
D'Europe, on signalera (par ordre chronologique) les écrits envoyés par le Luxembourg, le Liechtenstein, la Norvège, la Suisse, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Hongrie, la France, l’Irlande et la République Tchèque.
C'est la deuxième fois dans l'histoire que la procédure consultative est utilisée devant la CIJ pour traiter de la situation en Palestine au regard d´actions menées par Israël. En effet, en 2004, la CIJ a rendu un avis consultatif sur les conséquences juridiques de la construction par Israël d'un mur dans les territoires palestiniens (voir le texte intégral avec, au paragraphe 9 - page 142- la liste chronologique des avis juridiques reçus d'États et d'organisations internationales) : afin d'avoir une idée sur le type d´avis juridiques envoyés aux juges de La Haye par les Etats, le document envoyé par la France en 2004 est disponible ici, ainsi que celui remis par l'Egypte, ou encore par les autorités palestiniennes de l´époque. Le document envoyé par Israël en 2004 permet de mesurer les efforts déployés - sans grand succès - afin d´essayer de soustraire une question juridique à la connaissance de l´organe judiciaire principal des Nations Unies.
On notera que les exposés écrits envoyés par les Etats en cette année 2023 ne sont pas encore rendus publics sur le site de la CIJ. Nonobstant, dans le cas de celui remis par le Canada, une ONG canadienne se l´est procuré et l´a mis en ligne: voir texte complet des 5 pages remises aux juges de La Haye le 14 juillet 2023 accompagné d´une note de l´ONG canadienne CJPMO, profondément indignée. Un récent rapport (voir texte) sur l' automaticité des votes du Canada aux Nations Unies en faveur d'Israël démontre comment ceux-ci affectent profondément l'image internationale du Canada et sapent ses aspirations au plan diplomatique (Note 1). Au Royaume Uni, une note de presse du 24/08/2023 du journal The Guardian indique que les autorités birtanniques ont envoyé au juge international un exposé écrit de 43 pages similaire au texte canadien, sans que son contenu exact soit dévoilé: on y lit notamment que pour certains experts cités par ce journal britannique, "The UK submission is a complete endorsement of Israeli talking points". Une affirmation qu´il serait bon d'étayer en comparant notamment les termes du texte britannique avec ceux des textes d'autres Etats ayant également admis sans aucune réserve les arguments israéliens.
Bref rappel sur l´origine de cette nouvelle demande d´avis consultatif à la CIJ
Comme on s'en souviendra, le 30 décembre 2022, l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté une résolution confirmant et ratifiant une résolution précédemment adoptée le 11 novembre 2022 (Note 2) : dans cette résolution, il était demandé à la CIJ de rendre un avis consultatif sur ce qui se passe sur le territoire palestinien (voir le communiqué officiel des Nations Unies).
En ce qui concerne la demande faite à la CIJ dans la résolution de novembre 2022, elle découle du fait suivant, fort peu médiatisé : il s'agit de la publication d'un rapport, le 22 octobre 2022, élaboré par une Commission d’enquête créée par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur ce qui s’est passé en 2021 en Palestine – (voir lien officiel et le texte du rapport A/HRC/53/22, disponible en divers langues officielles des Nations Unies, ansi que le communiqué de presse du 27 mai 2021 avec, en fin de texte de ce dernier, le détail du vote survenu au sein du Conseil des Droits de l´Homme).
Ce rapport de la Commission enquête, créée en mai 2021 avec 24 votes pour, 9 contre et 14 abstentions (dont celle de la France), incluait dans ses recommandations finales que :
« 92. La Commission recommande à l’Assemblée générale de prendre les mesures suivantes :
- a) Adresser d’urgence à la Cour internationale de Justice une demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques du refus persistant par Israël de mettre fin à son occupation du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui constitue une annexion de facto, sur les politiques appliquées pour maintenir cette occupation et sur le refus par Israël de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que sur l’obligation incombant aux États tiers et à l’Organisation des Nations Unies de veiller au respect du droit international ;
- b) Transmettre le présent rapport au Conseil de sécurité et lui demander d’envisager de nouvelles mesures pour faire cesser la situation illégale résultant de l’occupation permanente imposée par Israël, et demander au Conseil d’exiger qu’Israël mette fin immédiatement à son occupation permanente ».
Cette suggestion relative à la CIJ a été immédiatement approuvée par un groupe d’États, puis reformulée en termes acceptables pour une majorité d’entre eux, dénotant ainsi une stratégie diplomatique fort habile afin d’obtenir un premier vote largement favorable le 11 novembre 2002.
Il convient également de noter que le contenu du rapport présenté en octobre 2022 par cette commission d’enquête (dont nous recommandons la lecture dans son intégralité), n’a pas été diffusé par les médias grand public. Comme à son habitude, l’appareil diplomatique israélien n’a rien trouvé de mieux que de tenter de discréditer les trois membres de cette commission (voir l’article du PassBlue), une attitude qui n’impressionne plus grand monde au sein des Nations Unies.
La procédure consultative de la CIJ est régie par les articles 65 à 68 de son statut (voir texte).
Cette demande d´avis consultatif a été officiellement enregistrée le 19 janvier à La Haye (voir le communiqué officiel de la CIJ en anglais et en français daté du 20 janvier 2023). Il est à noter que la procédure consultative permet à la CIJ de recevoir des exposés écrits de la part d'Etats et d'organisations internationales.
Le libellé des deux questions posées au juge international
Les deux questions posées à la CIJ par l´Assemblée Générale des Nations Unies dans la résolution A/Res/77/247 (voir texte) sont formulées dans les termes suivant (paragraphe 18) :
"a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?"
Nous avons eu l'occasion d'analyser et de mettre en perspective le précédent vote, intervenu le 11 novembre 2022 au sein de la Quatrième Commission de l'Assemblée Générale des Nations Unies, et de souligner la profonde crainte qu'il avait suscitée au sein des plus hautes autorités israéliennes : voir notre article publié au Canada le 10 décembre 2022, et intitulé "Situation dans le territoire palestinien et justicie internationales : brèves réflexions sur la tentative en cours auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ)".
Cette crainte annonçait des démarches diplomatiques au plus haut niveau, qui ont été effectivement déployées par Israël et par son fidèle allié américain à partir du 11 novembre pour tenter de freiner à tout prix cette initiative. Comme nous l'avons analysé dans le cas de l'Amérique Latine, ces tentatives ont eu une efficacité très limitée, à quelques rares exceptions près (dont le Costa Rica) : voir notre article (en espagnol) intitulé "L'Amérique Latine face à une demande d'avis consultatif de la justice internationale sur la situation en Palestine : brèves notes sur l'inhabituel vote négatif du Costa Rica / América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina: breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica ".
L'importance des pressions diplomatiques exercées entre les deux votes
Deux votes ont donc eu lieu sur cette résolution demandant au juge de La Haye de se prononcer sur la situation en Palestine:
- le 11 novembre, au sein de la Quatrième Commission de l'Assemblée Générale, le résultat fut de 98 voix pour, 17 contre et 52 abstentions, et 25 "No Show" ;
- le 30 décembre à l'Assemblée Générale proprement dite, le résultat a été de 87 voix pour, 26 contre et 53 abstentions, tandis que 26 Etats ont décidé de ne pas être présents au moment de l´enregistrement du vote.
Le tableau de vote reproduit ci-dessous du second vote de décembre 2022 montre en détail quels États ont succombé aux pressions de toutes sortes exercées par l'appareil diplomatique israélien et par son fidèle allié américain. Ce tableau permet également de prévoir la position envoyée dans l'avis juridique soumis à la CIJ de La Haye avant le 28 juillet 2023 par certains Etats.
Il est à noter que ces démarches diplomatiques n'ont pas produit d'effets majeurs, à quelques exceptions près : le seul cas - un peu particulier - d'un État qui a voté pour en novembre puis contre en décembre (Kenya). Comme il est d'usage dans ce genre de circonstances, aucune explication officielle n'a été donnée pour expliquer ce changement soudain de position du délégué kenyan aux Nations Unies.
Tableau du vote enregistré officiellement aux Nations Unies le 30 décembre 2022 concernant le projet de résolution A/77/400., diffusé sur les réseaux sociaux a peine connus les résultats, comme par exemple, parmi bien d´autres, la Mission Permanente de la Palestine aux Nations Unies (voir compte twitter).
Le vote des États d'Amérique latine dans cette 2022 : le Guatemala et le Costa Rica sont les seuls à avoir voté non
En examinant en détail ce qui s'est passé entre novembre (premier vote) et décembre (deuxième vote), en Amérique Latine, le Guatemala a maintenu son vote négatif lors des deux votes.
Il convient de noter que le Guatemala a été le seul État latino-américain à voter contre lors du vote de novembre 2022. Il est utile de rappeler que le Guatemala a été le seul État au monde à se sentir obligé de "seconder" le président des États-Unis de l'époque en 2018, en déplaçant également son ambassade à Jérusalem après que les États-Unis l'aient fait (voir l'article de France24 de mai 2018). Lorsque le Guatemala a officiellement reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël le 24 décembre 2017, nous avons eu l'occasion d'écrire dans un article paru en espagnol au Costa Rica que :
"Après l'échec aux Nations Unies, d'abord au Conseil de Sécurité, avec 14 voix contre le seul veto américain, puis à l'Assemblée Générale (128 voix pour, 9 contre), pour les États-Unis et Israël, disposer d´un autre État pour approuver la décision américaine était une priorité absolue : le Guatemala leur a permis de la matérialiser / Traduction de: "Después del fracaso obtenido en Naciones Unidas, primero en el seno del Consejo de Seguridad, con un marcado resultado de 14 votos contra el único veto norteamericano, y luego en la Asamblea General (128 votos a favor, 9 en contra), para Estados Unidos e Israel el contar con otro Estado que acuerpara la decisión de Estados Unidos constituía una máxima prioridad: Guatemala les permite ahora materializarla " (Note 3).
Pour en revenir à la résolution de l'Assemblée Générale demandant un avis consultatif à la CIJ lors de ce second vote du 30 décembre 2022, il convient de noter que l'Équateur, Haïti, le Honduras et l'Uruguay ont maintenu leur précédente abstention de novembre. On se doit d'insister sur le fait que ces quatre États (comme beaucoup d'autres) ont subi des pressions de la part d'Israël et de son fidèle allié américain, et qu'ils ont choisi de maintenir leur position inchangée.
D'autre part, il convient de signaler le changement de position entre le vote du 11 novembre et celui du 30 décembre des États suivants : le Brésil a voté pour le 11 novembre et s'est abstenu le 30 décembre. Il en a été de même pour les délégations du Panama et de la République Dominicaine. Il est intéressant d'observer que le vote du Brésil a eu lieu alors que son Président était déjà en route pour les Etats-Unis, refusant de participer à la cérémonie d'investiture des autorités brésiliennes nouvellement élues le 1er janvier 2023 : ces dernières ont pu compter avec la présence du chef de la diplomatie palestinienne, assistant personnellement à la cérémonie (voir l'intéressante interview réalisée par le Correio Braziliense le 3 janvier 2023, qui augure d'un renforcement des relations futures entre le Brésil et la Palestine).