viernes, 27 de septiembre de 2013

LA DÉCISION DE LA COLOMBIE DE CONSIDÉRER COMME "NON APPLICABLE" L´ARRÊT DE LA CIJ DE 2012





Figure 1: Carte contenant (en bleu) les lignes prétendues par la Colombie face aux côtes du Nicaragua. En rouge, les lignes obtenues par le Nicaragua après l´arrêt de 2012.



La Colombie, par la voix de son Président Juan Manuel Santos, a déclaré le 10 septembre dernier « no aplicable » l´arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ) rendu le 19 novembre 2012 (voir texte de l´ arrêt). Cet arrêt est relatif à la délimitation des espaces maritimes dans la mer de Caraïbes entre le Nicaragua et la Colombie. Avant de procéder à analyser le contenu de la déclaration du Président de la Colombie, une brève présentation du contexte s´impose, afin de mieux comprendre la portée de cette inusitée position officielle défendue récemment par la Colombie.

BREF APERÇU DU CONTEXTE :

L´arrêt de la CIJ rendu publique le 19 novembre 2012 répond à une requête présentée par le Nicaragua en 2001 (voir texte de la requête introductive d´instance), afin de régler le différend avec la Colombie provoqué par la dénonciation en févier 1980 par le Nicaragua du traité Esguerra-Barcenas signé avec la Colombie: ce traité reconnaissait, entre autres, la souveraineté de la Colombie sur l´archipel de San Andres y Providencia face aux côtes nicaraguayennes. Depuis l´année 1980, la Colombie a considéré inutile de négocier quoi que ce soit avec le Nicaragua et c´est tout naturellement que ce dernier a décidé de recourir à la CIJ afin d´obtenir un règlement fondé sur les règles applicables en la matière. Le Nicaragua présenta sa requête le 6 décembre 2001. Le jour d´avant, le 5 décembre 2001, la Colombie annonçait le retrait de sa déclaration d´acceptation de la juridiction obligatoire de la CIJ, un acte qui n´est pas sans rappeler une autre instance intentée (avec un certain succès) par le Nicaragua dans les années 80 (Cf. pp.161 de l`article de José Joaquim Caicedo Demoulin). La durée de l´instance de plus de 11 ans s´explique par la présentation initiale d´exceptions préliminaires par la Colombie, donnant lieu à un premier arrêt au mois de décembre 2007 (Note 1), suivi par une demande d´intervention (quelque peu tardive) présentées de façon quasi simultanée au mois de février 2010 par deux gouvernements qui entretenaient de bons rapports avec celui du Président Uribe de la Colombie (et de moins bon rapports avec le Président Ortega du Nicaragua) à savoir ceux du Costa Rica et du Honduras (post coup d´Etat de juin 2009 pour ce dernier). Les deux demandes d´intervention du Costa Rica et du Honduras ont été rejetées en 2011 par la CIJ ne laissant plus aucune possibilité de dilater l´instance à la Colombie afin d´éviter un arrêt sur le fond. Voilà donc un arrêt fort attendu qui met fin à 32 années d´incertitudes dans la région : en effet bien des Etats ont procédé à remettre à plus tard leurs délimitations maritimes en attente d´un règlement de ce différend. La mer des Caraïbes, comme on le sait est une mer semi fermée caractérisée par une multitude d´Etats continentaux, insulaires et autres entités (notamment des territoires d´outre mer européens et étasuniens).La carte géographique trouvée sur ce lien sur les contentieux dits « de basse intensité » permet d´avoir une idée de la complexité des opérations de délimitation maritime. La figure inclue dans l´étude intitulée « Les revendications frontalières dans le bassin Caraïbes : état des lieux et perspectives » ( p. 619) illustre également l´enchevêtrement des zones auxquelles peuvent prétendre les Etats de cette région du monde. Pour ne prendre qu´un exemple (parmi bien d´autres), afin de procéder à la délimitation de sa façade maritime dans les Caraïbes, le Honduras doit négocier avec pas moins de 8 Etats (Guatemala, Belize, Mexique, Cuba, Royaume Uni (les Îles Caïmans), la Jamaïque, la Colombie et le Nicaragua).

LE CONTENU DE LA DECLARATION DU PRESIDENT DE LA COLOMBIE:

La déclaration du Président Santos mérite d´être lue, relue, écoutée et réécoutée. Elle peut même être vue et revue sur le site de « Confidencial » (Nicaragua). Les spécialistes du droit international comprendront peut être mieux en l´écoutant le type de vents qui soufflent à Bogota depuis le 19 novembre 2012 mais peut être un peu moins la stratégie juridique suivie par les autorités actuelles de la Colombie. Nous avions eu à cet égard l´occasion d´analyser dans ces mêmes pages la première mesure prise 10 jours après le prononcé de l´arrêt par la Colombie, à savoir la dénonciation du Pacte de Bogota de 19848 par … Bogota que nous avions conclu de la manière suivante : « Avec ce retrait de la part de la Colombie (ressemblant davantage à un coup de tête pour répondre à la frustration de l´opinion publique colombienne et qu´il serait souhaitable de comparer à d´autre modalités prises par des Etats « à chaud » la suite d´une décision de la CIJ considérée défavorable), la Colombie devient probablement le premier Etat au monde à dénoncer un traité international portant le nom de sa capitale » (Note 2).

La Colombie déclare dans cette intervention de son Président (voir le texte reproduit para Caracol en Colombie) que cet arrêt est inapplicable, invoquant plusieurs articles de la Constitution de la Colombie relatifs aux traités sur les frontières. Il indique que l´arrêt ne peut être « applicable » que par la négociation d´un traité bilatéral. "El fallo de la Corte Internacional de Justicia no es aplicable –no es y no será aplicable– hasta tanto se celebre un tratado que proteja los derechos de los colombianos, tratado que deberá ser aprobado de conformidad con lo señalado en nuestra Constitución". Sur ce point, le Président Santos omet de dire que son homologue nicaraguayen lui avait proposé le 2 septembre la création d´une commission binationale afin d´élaborer un traité entre les deux Etats à partir de l´arrêt de la CIJ (voir note de El Espectador (Colombie) du 2/09/2013. La Colombie semble vouloir ignorer que bien des arrêts de la CIJ ont donné lieu à des négociations postérieures entre les deux Etats concernés et à l´adoption de traités bilatéraux, notamment en matière de délimitation. Lorsque la volonté politique pour résoudre définitivement le différend existe des deux côtés de la frontière, il y a toujours une solution possible, basée sur le contenu de l´arrêt de la CIJ. Cette volonté semble cependant faire défaut de l´un des côtés de la ligne tracée par la CIJ en novembre 2012. Dans ses réflexions, le juge français Gilbert Guillaume à la CIJ nous rappelle que la pratique depuis 1945 montre que les arrêts de la CIJ ont toujours été exécutés : « Certains arrêts ont été exécutés de mauvais gré, avec lenteur ou difficulté. D´autres n´ont pu l´être qu´au prix d´un accord plus vaste réglant des questions supplémentaires qui divisent les Etats en cause. Mais en définitive, dans toutes ces hypothèses, les parties se sont conformées au jugement rendu » (Note 3).

Le Président de la Colombie indique aussi que les traités en vigueur de la Colombie avec d´autres Etats ont été méconnus par cet arrêt : "el fallo de La Haya desconoce por completo los tratados de límites que tenemos vigentes con estos países, los cuales estamos obligados a cumplir". Il omet nonobstant de signaler que le traité avec le Costa Rica signé en 1977 n´est jamais entré en vigueur: il ne le sera sans doute jamais, faute de ratification de la part du Costa Rica, s´agissant d´un traité bien antérieur à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer de 1982 qui consacre la notion de Zone Economique Exclusive (ZEE). A cet égard l´effet de cette Convention (à laquelle la Colombie n´est toujours pas partie) (Note 4) sur les négociations entre le Costa Rica et la Colombie est saisissant : alors que le traité de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie pour les Caraïbes rapproche la Colombie des côtes de l´Amérique Centrale comme nulle part ailleurs, celui de 1984 pour le Pacifique (le premier traité signé après 1982 selon la liste officielle des traités signés par la Colombie en matière de délimitation maritime) l´éloigne de façon considérable grâce à l´effet de la « Isla del Coco » qui permet au Costa Rica de bénéficier d´une des ZEE les plus étendues de l´Amérique Centrale.




Figures 2 et 3: Zonas marítimes prètendues par la Colombie et ZEE du Costa Rica dans l´Océan Pacifique à comparer avec la zone dans l´Océan Atlantique (reproduite de cette note de presse de Ticovisión)



A noter que lors des audiences orales concernant la demande d´intervention du Costa Rica en 2010, la Colombie a défendu la validité de ce traité de 1977, ce qui n´a rien de surprenant. Ce qui l´est davantage, c´est que le Costa Rica, l´ait aussi fait, tout en prétendant des espaces au-delà de la ligne établie par ce traité. Une attitude ambigüe, du point de vue juridique, et une belle occasion que le Nicaragua n´a pas laissé échapper. L´un de ses conseils a lancé une dague qui dû avoir un certain effet en indiquant aux juges de La Haye (page 22 du verbatim du deuxième jour des audiences) que: “14. Le Costa Rica prétend avoir un intérêt juridique à ce que soient respectées les limites acceptées par son gouvernement, dans un traité signé, mais non ratifié, comme celui de 1977 avec la Colombie; mais, en même temps, il situe ces intérêts au-delà de cette limite conventionnelle. Bref, on dirait que son désir est de tuer ce traité sans tirer un seul coup, ce qui serait d’ailleurs conforme à sa tradition pacifiste ». On notera au passage que, contrairement au Nicaragua, et à la Colombie (voir composition des équipes signalées dans le verbatim, aux pp 4-10) et au Honduras dans une situation semblable (voir verbatim, pp 3-6), pour cette demande d´intervention, le Costa Rica s´est présenté à la barre de La Haye avec trois diplomates nationaux et un conseil étranger (rompant ainsi avec une pratique bien établie qui veut qu´après les paroles de l´Agent de l´Etat, interviennent immédiatement les conseils appartenant au « barreau invisible de droit international » de conseils de la Couronne habitués aux joutes oratoires (et qui font partie de ce que le professeur Jean-Pierre Cot appelle « le petit monde du Palais de la Paix » (Note 5).

Le Président de la Colombie a annoncé dans son discours du 10 septembre que trois Etats présenteraient avec la Colombie un lettre collective contre les « visées expansionnistes » du Nicaragua lors de la prochaine Assemblée Générale des Nations Unies (à savoir le Panama, la Jamaïque et le Costa Rica) : sans le vouloir, le Président de la Colombie a obligé les autorités du Costa Rica à préciser le jour suivant que la carte conjointe qui sera présentée lors de la prochaine Assemblée Générale de l´ONU ne garde aucune relation avec l´arrêt de 2012 (voir note de presse de El Pais, Colombie): mélanger des choses de nature différente (définition que l´on donne en général de l´amalgame) semble donc faire partie des instruments auquel a recours la diplomatie colombienne (qui nous avait habitué à des manœuvres diplomatiques plus adroites par le passé). Nous n´avons pas eu connaissance de protestations émises par la Jamaïque ou le Panama contre le Nicaragua en matière de délimitation maritime durant ces dernières années. Si elles ont été transmises au Nicaragua, c´est dans la plus grande discrétion, sans même laisser de trace sur la toile, ni même dans des publications spécialisées sur le droit de la mer. A la différence du Panama et de la Jamaïque, le Costa Rica, tout comme le Honduras ont présenté une requête à fin d´intervention, rejetées toutes les deux par la CIJ au mois de mai 2011.



Figure 4: Zones présentées par le Costa Rica et le Honduras dans leurs requêtes respectives à fin d´intervention devant la CIJ en 2010.

La Colombie indique en plus que, non contente d´avoir dénoncé le Pacte de Bogota, elle présentera un recours contre ce traité de 1948 devant sa Cour Constitutionnelle : voilà donc un Etat qui trouve refuge dans son droit interne pour essayer de ne pas appliquer un décision de la CIJ. Il doit s´agir là d´une première somme toute remarquable (et peu remarquée …): s´agissant d´une Cour composée de juges colombiens, tous animés d´un sentiment patriotique parfaitement compréhensible, on est en droit d´annoncer - sans prendre trop de risques - qu´il est peu probable que le recours intenté soit rejeté.

UNE ATTITUDE CONTESTABLE ET CONTESTÉE :

Les spécialistes du langage corporel s´intéresseront sûrement aux deux poings présidentiels pointés vers la caméra lorsque le Président Santos prononce le mot « indignados » au début de son intervention filmée du 10 septembre 2013. Ce geste, l´attitude du Président et plus généralement celle des autorités de la Colombie depuis le 19 novembre 2012 semblent en effet correspondre davantage à un acte politique face à une opinion publique colombienne en plein désarroi depuis cette date. Et c´est là peut être que se trouve la raison qui pousse les autorités colombiennes à agir de la sorte. Depuis la déclaration unilatérale du Nicaragua de 1980, un discours officiel, relayés par des experts, diplomates, juristes, analystes et voix diverses, a considéré que les prétentions de la Colombie étaient parfaitement fondées en droit face à celles du Nicaragua. Comme cela arrive parfois aux Etats qui se retrouvent dans un litige avec le Nicaragua à La Haye, les capacités de son équipe de conseillers juridiques a peut être été aussi sous-estimée. Aussi, l´opinion publique colombienne n´a que peu de références pour comprendre ce qui s´est vraiment passé lors du prononcé de l´arrêt le 19 novembre 2012. Elle s´attendait à une seule issue possible et personne semble-t-il n´a pris le temps en Colombie de lui expliquer ou lui laisser entrevoir d´autres. Cet effort réalisé par les autorités colombiennes a même donné lieu à un exercice somme toute inédit : une fois conclues les audiences orales (a mois de mai 2012), l´un des conseillers juridiques de la Colombie, un juriste pourtant extrêmement chevronné, a donné une entrevue à la presse colombienne au mois de juillet 2012 (voir le texte de l´entrevue dans Semana, Colombie) confirmant la justesse de la position juridique de la Colombie. Il s´agit là d´un exercice délicat dans la mesure où la clôture officielles des audiences orales à La Haye est suivie par une attitude prudente, réservée et « anxieuse » des équipes juridiques des deux Etats en attendant le prononcé de l´arrêt. La longue série des “verbatim” à l´occasion des diverses audiences orales qui s´étalent sur 10 ans (disponibles ici) et dont la lecture s´achève avec la carte de la Colombie (p. 40) inclue dans le verbatim du dernier jour des audiences orales) atteste de l´intensité de la bataille menée par les deux Etats. Masi une fois celle-ci officiellement clôturée par la CIJ, la prudence et la réserve s´imposent aux équipes juridiques des deux Etats. Dans l´une des rares études sur le « métier » de conseil de la Couronne à La Haye, un conseil fort sollicité comme le professeur Alain Pellet nous rappelle que : « Lorsque l´Agent du second Etat à présenter ses plaidoiries orales a donné lecture des conclusions finales de cette partie, le « Président ordonne la clôture des débats ». Le rideau tombe sur le « grand théatre » de La Haye. Le débat se poursuit dorénavant en coulisses, entre les Juges de la Cour qui se sont retirés « en Chambre du Conseil pour délibérer ». Et les conseils, comme leurs mandants, n´ont plus qu´a attendre, impuissants, anxieux, pleins d´espoirs, de regrets aussi parfois, en songeant à un argument oublié ou mal présenté, la « scène du dénouement » que constitue la lecture l´arrêt » (Note 6).

Des juristes colombiens tels que l´ancien Greffier de la CIJ, Eduardo Valencia Ospina, et bien d´autres ont pour leur part émis des critiques virulentes vis-à-vis de l´attitude de leurs autorités, sans pouvoir enrayer une logique gouvernementale trouvant relais dans une presse poussant l´opinion publique à rejeter le contenu de l´arrêt du 19 novembre 2012. A quelques jours du prononcé de l`arrêt, la professeure colombienne María Clara Galvís (voir entrevue dans Kienike du 21/11/2012) avertissait sans équivoque ce que tout connaisseur du droit international public peut indiquer lorsqu´on lui pose une question relative au non respect d´ un arrêt de la CIJ. Nous nous permettons de transcrire ci contre ses avertissement sans traduction quelconque (le bon sens est somme toute un langage universel): “Las disputas se deben resolver por las vías legales, y por eso los fallos de las máximas instancias son para cumplirlos. Una actitud de respeto por parte de un Estado es acatar las decisiones judiciales aunque no se compartan. En Colombia hemos visto que se generan debates cuando algún alto tribunal se pronuncia ante algún tema controvertido, pero hay siempre la voluntad de acatar la decisión judicial. Si eso ocurre en el ámbito interno, no parece muy lógico cambiar de postura cuando se trate de una situación internacional. Además, eso sería ir contra los postulados y bases de la ONU”.

Au mois de juillet 2013, face à des insinuations inusitées en vue de discréditer les juges de La Haye (notamment a partir du fait que seuls certains d´entre eux proviennent de l´Amérique Latine), le professeur Rafael Prieto s´est insurgé contre ce type d´arguments provenant de certains secteurs colombiens en des termes que l´on ne peut que partager sans nécessiter de traduction quelconque (l´indignation elle aussi, est un langage universel): « ¿Quiénes son aquellos honorables magistrados que, en el sentir de algunos, simple y llanamente cometieron un acto de "despojo"? ¿Quiénes son los ilustres togados que componen, según otros, la Corte "enemiga", el principal órgano judicial de las Naciones Unidas?: ¿unos aprendices de derecho internacional que llegan allí solamente por un gran poder político y, en esa medida, corruptibles, como algunos lo han querido insinuar? O quizás, ¿serán unos juristas "europeos" que no entienden nada de nuestros trópicos, como otros piensan...? ―"Ninguna de las anteriores", contestaría el más desprevenido de nuestros estudiantes a las diferentes opciones de respuesta; esencialmente por dos motivos, y haciendo total abstracción del respeto mínimo que se le debe a una institución que lleva noventa años impartiendo justicia internacional”. Parmi ces voix courageuses (et bien d´autres, telles que celle du professeur Enrique Gaviria Liévano, ou encore de jeunes juristes tels que Ricardo Abello, Juan Ramón Martínez y Walter Arévalo ou encore celle de l´ancien greffier de la CIJ Eduardo Valencia Ospina concernant les possibilités de présenter un recours devant la CIJ) on signalera celle de celui qui fut co-agent de la Colombie durant de longues années pendant le procès, ancien Ministre des Affaires Etrangères de la Colombie, l´Ambassadeur Guillermo Fernandez de Soto: ayant renoncé à son poste comme co-agent de la Colombie au mois d´août 2012 (voir note de presse), celui ci est on ne peut plus clair et sa déclaration, à notre modeste avis, des plus lapidaires: "No puede ser que los fallos solo se acaten cuando son favorables. El fallo no se puede desconocer" (voir note).

CONCLUSIONS

La portée des déclarations du Président de la Colombie sont telles que la réponse du Nicaragua ne s´est pas fait attendre: le 16 septembre le Nicaragua a déposé à La Haye une nouvelle requête introductive d´instance contre la Colombie (voir texte officiel) repris dans le communiqué officiel de la CIJ (voir texte en Français). Cette requête exige des précisions à la Cour quant à la portée de son arrêt, et notamment par rapport au plateau continental du Nicaragua en demandant à la Cour d´indiquer: «[l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012» en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie). Le demandeur prie également la Cour d’énoncer «[l]es principes et les règles de droit international régissant les droits et obligations des deux Etats concernant la zone de plateau continental où leurs revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce, dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne». Cette requête introductive d´instance précède de quelques semaines l´entrée en vigueur du retrait de la Colombie au Pacte de Bogota (le délai prescrit est d´un an) à partir de laquelle la Colombie sera définitivement « libérée » des obligations que lui impose le Pacte de Bogota (Note 7). Le temps dira peut-être un jour si la déclaration du Président Santos du 10 septembre a contribué (ou pas) à précipiter un peu les choses, repoussant ainsi une nouvelle fois le règlement définitif d´un différend vieux de plus 33 ans qu´attend toute une région du monde.

En quête de solidarité dans un monde prônant haut et fort le respect du droit international, et celui des décisions de la CIJ, la Colombie semble avoir trouvé un associé en la personne des autorités actuelles du Costa Rica (qui entretiennent des rapports extrêmement tendus avec le Nicaragua depuis l´incursion de ce dernier en octobre 2010). Cette solidarité s´est manifestée par exemple par une réunion entre les deux Chefs d´Etat à New York pendant l´ Assemblée Générale des Nations Unies pour dénoncer la « politique expansionniste du Nicaragua » en marge de l´Assemblée (voir note de presse). Fin diplomate et connaisseur, l´ancien Ministre des Relations Extérieures du Costa Rica (2006-2010) Bruno Stagno est sans complaisance avec les autorités actuelles du Costa Rica. « L´intention de l´administration de la Présidente Chinchilla Miranda de se solidariser avec la Colombie contre les visées expansionnistes du Nicaragua est à regretter: elle se fait juste au moment où Bogota annonce le non respect à un arrêt de la CIJ. Pour un pays engagé dans la défense du droit international, cette alliance plus qu´inopportune avec la Colombie peut coûter fort cher au Costa Rica » (Note 8).



Note 1 : Cf. étude publiée dans l´ Anuario Colombiano de Derecho Internacional en 2009 de NIETO NAVIA R. : La decisión de la Corte Internacional de Justicia sobre excepciones preliminares en el caso de Nicaragua vs. Colombia.

Note 2 : Cf. BOEGLIN N. : « Le retrait du Pacte de Bogota par la Colombie », note parue dans Sentinelle, Numéro 326, Décembre 2012). Disponible ici.

Note 3 : Cf. GUILLAUME G., La Cour Internationale de Justice à l´aube du XXIème siècle. Le regard d´un juge, Paris Pedone, 2003, p. 177

Note 4 : L´état des ratifications de la Convention de 1982 de Montego Bay est disponible ici. De 166 Etats Parties à cette date, les Etats de l´hémisphère américain l´ont ratifiée dans l´ordre suivant: Mexique, Jamaïque, les Bahamas et le Belize (1983), Cuba (1984), Sainte Lucie (1985), Trinidad-et-Tobago, le Paraguay (1986), Sao Tome et Príncipe, le Brésil, Antigua-et- Barbuda (1987), Grenade et Dominique (Commonwealth of) (1991), le Costa Rica et l´Uruguay (1992), Saint-Kitts-et-Nevis, Saint Vicent-et-les-Grenadines, le Honduras, les Barbades, le Guyana (1993), la Bolivie et l´Argentine (1995), le Panama (1996), le Guatemala et le Chili (1997), le Suriname (1998), le Nicaragua (2000), le Canada (2003), la République Dominicaine (2009), et finalement l´Equateur (2012). Manquent à l´appel la Colombie, le Salvador, le Pérou, le Vénézuéla, ainsi que, sans surprise, les Etats-Unis.

Note 5 : Cf. l´expression “le petit monde du Palais de la Paix” utilisée dans COT J.P., “Le monde de la justice internationale”, SFDI (Société Française pour le Droit International), La juridictionnalisation du droit international, Paris, Pedone, 2003, pp.511-522, p. 512. Pour ce qui est de l´expression “invisible college of international law” du Professeur Oscar Schachter, nous renvoyons à une très modeste note parue il y a déjà quelques années au Costa Rica : “Nueva justa de Centroamérica”, La Nación, 20/11/2005

Note 6 : Cf. PELLET A., “Remarques sur le «métier» de Conseil devant la Cour Internationale de Justice », in Nations Unies, Recueil d´articles de conseillers juridiques d´Etats, d´organisations internationales et de praticiens du droit international, Nations Unies, New York, 1999, pp.435-458, p. 446.

Note 7 : Contrairement à une idée reçue, le Pacte de Bogota n´est pas un traité quelconque: il s´agit du premier traité régional dans l´immédiate après guerre en matière de règlement pacifique des différends (qui donnera par ailleurs à une version européenne en 1957 dans le cadre du Conseil de l´Europe). La plupart des affaires portées devant la CIJ par les Etats de la région l´ont été grâce à ce traité dont le caractère stabilisateur pour la région est indiscutable: il suffit par exemple de consulter les requêtes introductives d´instance, telles que celle du Nicaragua contre le Costa Rica et le Honduras devant la CIJ en 1986 (en l´affaire des actions armées frontalières et transfrontalières, Nicaragua contre Costa Rica) ou du Nicaragua contre le Honduras (en l´affaire du différend territorial et maritime dans la mer des Caraïbes, 1999, Nicaragua contre Honduras); ou celle du Nicaragua contre la Colombie de 2001 ou encore celle du Costa Rica contre le Nicaragua de 2005 (différend relatif à des droit des navigation et droits connexes, Costa Rica contre Nicaragua); ou bien celles du Pérou contre le Chili (différend maritime) et de l´Equateur contre la Colombie (épandages aériens d´herbicides) présentées toutes deux en 2008 ; ou encore celle du Honduras contre le Brésil (certaines question en matière de relations diplomatiques) en 2009 ; ou finalement, celle présentée par le Costa Rica contre le Nicaragua en el 2010 (certaines activités menées dans la région frontalière), et le Nicaragua contre le Costa Rica en 2011.

Note 8 : Traduction libre de « Lo que sí es de lamentar es la intención de la Administración Chinchilla Miranda de solidarizarse con Colombia contra el expansionismo de Nicaragua, justo cuando Bogotá anuncia un desacato a las sentencias de la Corte Internacional de Justicia. Para un país comprometido con el derecho internacional, esta alianza más que inoportuna con Colombia, le puede salir muy cara a Costa Rica”: Cf. STAGNO B., « Atrapados entre vecinos », La República (Costa Rica), 23 /09/2013. Ce texte a été repris et lu lors d´une session parlementaire de l´Assemblée Législative du Costa Rica par le député Claudio Monge. Son intervention est disponible ici





La présente note a été publiée sur le site ALAINET, édition du 30/09/2013, ainsi que sur le site Periodistas-es.org du 30/09/2013. Une première version a été publiée dans le Bulletin Sentinelle de la SFDI (Société Française pour le Droit International) du 29 /09/2013. Une première version en espagnol est parue dans Elpais.cr (Costa Rica), le 26/09/2012.

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