Accord d'Escazú : brèves remarques sur la deuxième Conférence des États parties (COP2)
Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin@gmail.com
(Une version en espagnol est également disponible ici).
La deuxième Conférence des États parties à l'Accord d'Escazu, un traité régional adopté au Costa Rica en 2018, s'est ouverte le 19 avril 2023 à Buenos Aires (Argentine) (voir texte intégral du traité en espagnol et texte intégral en français ).
Pour rappel, l'Accord d'Escazú a été adopté en mars 2018 au Costa Rica, et le long processus de négociation a été co-présidé par le Chili et par le Costa Rica pendant plus de 5 ans et demi. Ouvert à la signature des Etats en septembre 2018 aux Nations Unies, ce traité régional est entré en vigueur en avril 2021, et ce après avoir recueilli les ratifications nécessaires (onze au total, comme stipulé à l'article 22 du traité lui-même): l´Argentine et le Mexique se sont mis d´accord pour déposer aux Nations Unies le même jour (22 janvier) leur instrument de ratification, passant de 10 à 12 Etats Parties, et ce afin que l´Accord d´Escazú entre officiellement en vigueur le 22 avril 2021, jour international de la Terre.
Cette réunion dans la capitale de l´Argentine qui s'est achevée le 21 avril, est également désignée sous le nom de " Conférence des Parties " ou " COP2 " : il s'agit en effet d'une réunion à laquelle participent les États parties à l'Accord d'Escazú, à ce jour au nombre de quinze (voir l'état officiel des signatures et ratifications).
L'inauguration de cette réunion s'est déroulée en présence du chef de l'État argentin (voir note officielle et communiqué de presse de la Casa Rosada) et toutes les sessions ont pu être suivies en direct, en accédant au lien officiel de la CEPAL prévu à cet effet (voir hyperlien).
États parties et non parties invités et événements parallèles
Cette COP2 a fait l'objet d'une réunion préparatoire antérieure, également tenue en Argentine le 6 mars, au cours de laquelle les questions à débattre ont été précisées (voir le rapport en espagnol). Il est indiqué (aux pages 15 et 16 du rapport susmentionné) que les représentants d´États qui n'ont pas encore ratifié l'Accord d'Escazú ont été invités à participer à cette réunion préparatoire, à savoir : le Brésil, la Colombie et le Pérou. Un geste politique de la part des 15 États parties envers ces trois États, dont les délégués ont observé diverses sessions, dont une, très attendue, portant sur les initiatives de chaque État partie portant sur la mise en œuvre de l'Accord d'Escazú au plan national.
Dans le cas de l'Amérique Centrale, aucun délégué du Salvador, du Guatemala et du Honduras n'était présent, et ce malgré la situation critique dans laquelle s´y trouvent les défenseurs de l'environnement. Un récent rapport de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme sur le drame vécu par de nombreux défenseurs de l'environnement au Salvador, au Guatemala et au Honduras (voir rapport) confirme l'urgence d'adopter des mesures et des figures juridiques prévues par l'Accord d'Escazú.
Il est à noter que, parallèlement aux réunions des représentants des Etats lors de cette COP2, une série d'événements très variés organisés par la société civile et diverses organisations internationales ont eu lieu (voir le programme des événements parallèles).
L'Accord d'Escazú favorise et encourage la participation du public, et les COP constituent un espace remarquable (et somme toute, peu remarqué) dans lequel les délégués des Etats et les organisations de la société civile peuvent interagir sans aucun obstacle : un effort de transparence qui devrait être reproduit dans le cas de réunions similaires liées à d'autres traités internationaux sur l'environnement et les droits de l'homme, qu'il s'agisse d'instruments juridiques universels ou régionaux.
Lors de cette COP2, le Chili (l'un des deux États qui a mené les négociations pendant plus de cinq ans et demi aboutissant à l'Accord d'Escazú), a participé cette fois-ci en tant qu'État partie : voir l'interview de la négociatrice chilienne de l'Accord d'Escazú, publiée dans PaisCircular, 18/04/2023. Un rapport récent (voir texte) sur le niveau de conformité du Chili avec les normes proposées par l'Accord d'Escazú analyse les diverses initiatives prises par les autorités gouvernementales chiliennes, qui pourraient être reproduites dans bien d'autres parties de l'Amérique Latine. De son côté, la société civile a présenté des propositions intéressantes aux États parties, notamment, parmi beaucoup d'autres, ce rapport d'OXFAM (voir document).
Plus généralement, cet entretien avec un haut fonctionnaire de la CEPAL (publié dans Diálogo Chino, édition du 14/04/2023) nous permet également d'apprécier les défis que représente la construction d'une véritable démocratie environnementale pour les États de la région, sur la base des principes énumérés dans l'Accord d'Escazú.
COP1 et COP2 en bref
La première COP s'est réunie un an plus tard, en avril 2022, à Santiago du Chili (voir le programme et déclaration finale), avec 12 États parties à l'Accord d'Escazú à ce moment-là, à savoir : Antigua-et-Barbuda, l'Argentine, la Bolivie, l'Équateur, la Guyane, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines ainsi que l'Uruguay.
Depuis, l'Accord d'Escazú compte trois nouveaux États parties : le Chili (juin 2022), ainsi que les ratifications récemment enregistrées du Belize et de la Grenade (mars 2023) que nous avons eu l'occasion de commenter, en plus d'autres avancées notables de l'accord d'Escazú en cette année 2023, ainsi que le refus persistant du Costa Rica de l'approuver (Note 1). Sur ce dernier point, nous avions eu l'occasion en 2020 d´avertir "l'arrivée des mythes" contre l'Accord d'Escazú, exprimés dans plusieurs communiqués de divers secteurs économiques costariciens (Note 2).
Ces derniers jours, les autorités brésiliennes ont manifesté leur intérêt pour l'accélération du processus de ratification de l'Accord d'Escazú (voir communiqué de presse du 13/04/2023) : il est à noter que la responsable du ministère brésilien de l'environnement était présente à la cérémonie d'ouverture de la COP2 (voir note officielle). La triste parenthèse qu´a signifié l'administration du président Bolsonaro (2017-2022) pour les droits de l'homme et l'environnement, ainsi que pour les populations indigènes du Brésil, laisse présager un regain d'intérêt des autorités brésiliennes pour l'adhésion à l'Accord d'Escazu. Des organisations telles que Transparency International (voir document) et Human Rights Watch (voir lettre) ont appellé depuis plusieurs mois le Brésil à ratifier l'Accord d'Escazú dans les plus brefs délais. Le 11 mai 2023, le Pouvoir exécutif a annoncé avoir envoyé formellement au Pouvoir législatif l´Accord d´Escazú (voir note de presse).
On s'attend également à ce que la Colombie achève bientôt le processus de ratification, étant donné que l'Accord d'Escazú a été approuvé par les deux chambres de son pouvoir législatif au mois de novembre 2022, une approbation que nous avions eu l'occasion d'analyser (Note 3).
En Amérique latine, outre la Colombie, les États suivants ont signé l'Accord d'Escazú, mais ne l'ont pas encore approuvé : le Brésil, le Costa Rica, le Guatemala, Haïti, le Paraguay, le Pérou et la République dominicaine. Les États suivants ne l'ont même pas signé : Cuba, le Salvador, le Honduras et le Venezuela.
Les accords conclus lors de la COP2
Au-delà des obstacles de toutes sortes qui se sont dressés dans certains États pour bloquer l'approbation de l'Accord d'Escazú et du désintérêt d'autres États pour (au moins ?) signer ce traité régional, plusieurs questions relatives à la mise en œuvre de l'Accord d'Escazú ont été discutées entre les États parties à partir du 19 avril à Buenos Aires.
À cet égard, le peu de couverture dans les médias costariciens sur les différentes initiatives développées à partir de l'Accord d'Escazú en 2022 est frappant, et il était prévisible que cette COP2 en Argentine subisse le même sort.
En avril 2022, un guide précieux sur la mise en œuvre de l'Accord d'Escazú a été compilé (voir texte intégral en espagnol), qui peut déjà être utilisé pour générer ou orienter les politiques publiques dans divers États, qu'ils soient ou non des États parties.
Parmi les différents points discutés à Buenos Aires figuraient la nomination des sept membres du Comité de Soutien à l’Application et au Respect, organe créé par l'Article 18 du traité régional, ainsi que la mise en œuvre du Fonds de Contributions Volontaires (Article 14). Cet entretien avec le candidat désigné de l'Argentine (voir texte) permet de mieux comprendre les tâches attendues du Comité de Soutien à l’Application et au Respect de l'Accord d'Escazú, dont les règles de composition et de fonctionnement ont été adoptées par les États parties lors de la COP1 de 2022 au Chili (voir document). Dans le cas de la candidate de nationalité costaricienne, elle a été également désignée par les Etats parties pour intégrer ce Comité (voir note de OjoalClima du 1/5/2023, seule référence trouvée au Costa Rica mentionnant son élection).
Par ailleurs, les Etats parties ont discuté le suivi des différentes recommandations et conclusions du premier forum sur les défenseurs de l'environnement, qui s'est tenu à Quito (Equateur) en novembre 2022 (voir rapport) : un Plan d'Action (voir document) a été mis en consultation auprès des organisations de la société civile afin de recueillir leurs contributions et propositions. A cet égard, un deuxième forum sur les défenseurs de l'environnement aura lieu au Panama au cours de la dernière semaine du mois de septembre 2023. Il convient de noter que depuis le 27 février 2023, un projet de loi Número 23.588 (voir texte) visant à protéger les défenseurs de l'environnement circule au sein de l'Assemblée législative du Costa Rica: son texte ne contient aucune référence à l'Accord d'Escazú et semble correspondre a una manoeuvre politique assez grossière (voir sur ce projet de loi notre analyse).
Finalement, une Declaración de Buenos Aires a été adoptée (voir texte en espganol) par les Etats parties, dans laquelle ils réitèrent les accords obtenus et la nécessité pour les Etats signataires de devenir Etats parties en approuvant l ´Accord d´Escazú "le plutôt possible" (point 14).
En guise de conclusion
Ces initiatives et bien d'autres confirment la volonté des États parties et de la CEPAL de mener d´un pas ferme la mise en œuvre de ce traité régional : un instrument juridique moderne pour la gestion et la gouvernance de l'environnement, comme cela a été souligné dans plusieurs publications (Note 4).
La prochaine réunion des États parties (ou " COP ") se tiendra à nouveau à Santiago du Chili au mois d´avril 2024 (confirmant, au passage, le désintérêt marqué des autorités costariciennes, vu le retour de la COP3 dans la même capitale chilienne qui hébergea la première réunion de ce type) : il est probable que la Colombie soit déjà un État partie pour cette réunion en 2024, et, si l'on prend en compte les souhaits exprimés par les représentants brésiliens lors de la COP2, que le Brésil soit également État partie ou sur le point de l´être.
En ce qui concerne le Costa Rica, les titres de cet article de la DW (Allemagne) et de celui-ci de France24 (France), ou encore le titre de ce câble de l'agence de presse internationale AFP reproduit dans un média uruguayen, illustrent la profonde consternation causée par son absence parmi les États parties à l'Accord d'Escazú : plus de cinq ans après son adoption sur le sol costaricien, l'Accord d'Escazú avance sans le Costa Rica, et aucun changement majeur concernant la position de ses autorités n'est envisagé pour les trois années à venir.
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Note 1: Cf. BOEGLIN N., "El Acuerdo de Escazú: viento en popa", Site de la Universidad de Costa Rica (UCR), edition du 10/04/2023. Texte disponible ici.
Note 2: Cf. BOEGLIN N., " ´Llegaron los mitos´: a propósito de los recientes comunicados en contra del Acuerdo de Escazú", Site de la Universidad de Costa Rica (UCR), édition du 17/12/2020. Texte disponible ici. Au mois d´avril 2021, en réponse à un communiqué d'une chambre de commerce influente au Costa Rica contre l'Accord d'Escazú, ses représentants ont été invités tout naturellement à participer à un débat public virtuel avec deux universitaires spécialisés en droit de l'environnement, mais ils ont choisi de ne pas y assister : voir l'émission Café para Tres du média numérique costaricien Delfino.cr avec les deux universitaires invités à " débattre " avec les absents. Puis, en mai 2021, une deuxième tentative de l'UCR a confirmé cette réticence à débattre en public (voir le débat posté sur le lien officiel de l'UCR). Enfin, en juin 2021, c'est cette fois depuis le Colegio de Biólogos du Costa Rica que s´est confirmée, pour la troisième fois consécutive, la "fuite au débat" qui semble être, pour certains, la manière convenue de défendre leurs prétendus "arguments" contre l´Accord d´Escazú (voir le débat). Ces derniers sont réapparus dans cette lettre colective de février 2022 2022 souscrite par plusieurs chambres de commerce et d´industrie du secteur privé costaricien.
Note 3: Cf. BOEGLIN N., "Colombia a pocos meses de ser oficialmente Estado Parte del Acuerdo de Escazú", Site de la Universidad de Costa Rica (UCR), édition du 15/11/2022. Texte disponible ici.
Nota 4: Voir par exemple PEÑA CHACÓN M., "Transparencia y rendición de cuentas en el Estado de Derecho ambiental", Delfino.cr, édition du 17/04/2021, disponible ici. En ce qui concerne l'accord d'Escazú, nous nous référons à trois publications collectives (et assez volumineuses) qui détaillent l'étendue de son contenu et son importance pour la consolidation d'une véritable démocratie environnementale en Amérique latine et dans les Caraïbes : ATILIO FRANZA J. & PRIEUR M. (dir.), Acuerdo de Escazú: enfoque internacional, regional y nacional, Editorial Jusbaires, Buenos Aires, 2022, 670 pages. Disponible (texte intégral) ici ; BARCENA A., MUÑOZ AVILA L., TORRES V. (Editeurs), El Acuerdo de Escazú sobre democracia ambiental y su relación con la Agenda 2030 para el Desarrollo Sostenible, 2021, CEPAL / Universidad del Rosario (Colombia), 298 pages, disponible ici; et PRIEUR M., SOZZO G. y NAPOLI A. (Editores), Acuerdo de Escazú: pacto para la eco-nomía y democracia del siglo XXI, 330 pages, 2020, Universidad del Litoral (Argentina), disponible ici. Le fait qu'il s'agisse d'un instrument de pointe peut être confirmé par l'examen des développements visant à garantir une application correcte des articles 7 et 9, élaborés par la CEPAL elle-même dans le guide de mise en œuvre de l'Accord d'Escazú susmentionné, présenté officiellement en avril 2022 (disponible ici, en particulier aux pages 108 à 126).